Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/531

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mais il est une mort plus réelle, et que les hommes ne redoutent point, c’est la séparation de l’âme et de Dieu. C’est là proprement la mort. Comment cette mort doit-elle « être pour eux un berger ? » Si le Christ est la vie, le diable est la mort. Or, nous savons par de nombreux passages de l’Écriture que le Christ est la vie. Mais le diable est la mort, non que lui-même soit la mort, mais parce que la mort vient de lui. Qu’il soit question de la mort à laquelle Adam fut condamné, elle n’est entrée que par lui dans le genre humain ; qu’il soit question de la mort qui sépare notre âme de Dieu, elle vient encore de celui qui tomba par orgueil, et qui, jaloux de voir l’homme se tenir debout, le renversa par une mort invisible, de manière qu’il dût subir aussi une mort visible[1]. Ceux donc qui lui appartiennent ont la mort pour pasteur mais nous, qui pensons à un avenir immortel, n’est pas sans raison que nos fronts sont marqués du signe de la croix, parce que nous n’avons d’autre pasteur que la vie. Le pasteur des infidèles est donc la mort ; le pasteur des fidèles est la vie. Quoi donc ? Sommes-nous déjà dans le ciel ? Nous y sommes selon la foi. Si nous ne sommes pas dans le ciel, que devient cette parole : Élevez vos cœurs ? Si nous ne sommes pas dans le ciel, que devient ce mot de saint Paul : « Notre conversation est dans le ciel[2] ? » Notre corps est donc sur la terre, et notre cœur dans le ciel. C’est là que nous habitons, si nous y envoyons de quoi y retenir notre cœur. Car nul n’est de cœur qu’au lieu occupé par ses pensées ; et sa pensée est au même lieu que son trésor. S’il a son trésor sur la terre, son cœur ne s’élève pas au-dessus de la terre ; et s’il a son trésor dans le ciel, son cœur ne descend pas du ciel ; le Seigneur nous dit clairement : « Là où est votre trésor, là aussi est votre cœur[3] ».
3. Ils paraissent donc florissants ici-bas, ceux dont la mort est le pasteur, tandis que les justes sont dans l’affliction ; mais pourquoi ? parce que nous sommes encore dans la nuit. Comment dans la nuit ? C’est-à-dire que les mérites des justes n’apparaissent point, tandis que le bonheur des impies est en évidence. Tant que dure l’hiver, l’herbe paraît plus riante que l’arbre ; car l’herbe paraît vive pendant l’hiver, tandis que l’arbre paraît desséché : mais quand le soleil nous donnera ses feux de l’été, l’arbre, qui paraissait desséché pendant l’hiver, se couvrira de feuilles, portera des fruits, tandis que l’herbe se desséchera : alors vous voyez l’arbre dans sa gloire, tandis que l’herbe sèche et meurt. Ainsi en est-il des afflictions des justes ici-bas, avant que l’été vienne pour eux. Leur vie est dans la racine, et n’apparaît pas encore dans les branches. Or, notre racine est la charité. Et que dit l’Apôtre ? Que notre racine soit en Dieu, que la vie soit notre pasteur, que notre demeure ne doit point s’écarter du ciel, que sur cette terre nous devons vivre comme si nous étions morts, afin que, vivant des choses d’en-haut, nous soyons morts pour celles d’ici-bas, et non morts pour celles d’en haut, vivant pour celles d’en bas. Comme donc notre vie, non plus que notre cœur, ne doit point s’éloigner du ciel, que nous dit saint Paul ? « Vous êtes morts ». Mais ne crains pas : « Votre vie », a-t-il ajouté, « est cachée en Dieu avec le Christ ». C’est là qu’est notre racine. Mais un jour notre gloire apparaîtra, et nous serons revêtus de nos feuilles et de nos fruits. Voilà ce que nous promet l’Apôtre en disant : « Lors de l’apparition du Christ, qui est notre vie, vous apparaîtrez aussi avec lui dans la gloire[4] ». Ce sera notre matin, car le matin n’est pas venu pour nous. Que les orgueilleux s’enflent de vanité ainsi que les riches du siècle, que les impies aient l’insulte pour les bons, les infidèles pour les fidèles, et qu’ils disent : De quoi vous sert votre foi ? Qu’avez-vous de plus en possédant le Christ ? Que les fidèles répondent, s’ils sont vraiment fidèles : Il est nuit, on ne voit pas encore ce que nous possédons. Que leurs mains ne se lassent point dans les bonnes œuvres. Aussi est-il dit ailleurs : « Au jour de la tribulation, j’ai cherché mon Dieu ; mes mains étaient avec lui pendant la nuit, et je n’ai pas été déçu[5] ». Au matin apparaîtra notre travail, et la récompense nous viendra le matin : ceux qui souffrent aujourd’hui domineront ensuite ; et ceux qui font étalage de jactance et d’orgueil, seront dans la servitude. Quelle est en effet la suite du psaume ? « Ils sont comme des troupeaux dans l’enfer, la mort sera leur pasteur, et au matin les justes domineront sur eux[6] »
4. Ce verset me paraît éclairci, parce que

  1. Gen. 3,1
  2. Phil. 3,20
  3. Mt. 6,21
  4. Col. 3,3-4
  5. Ps. 86,3
  6. Id. 48,15