Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/556

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Tu aimes en David ce que David hait en lui : tu te prépares au crime, tu pèches avec réflexion ; tu cherches dans le livre de Dieu une autorisation à la licence, et tu n’écoutes la parole de Dieu que pour faire ce qui déplaît à Dieu. Voilà ce que n’a point fait David, Un prophète le reprit, un prophète ne le fit point tomber. Mais à d’autres cette histoire est très utile, et ils mesurent leur faiblesse sur la chute d’un homme si fort ; afin d’éviter ce que Dieu condamne, ils interdisent à leurs yeux jusqu’au regard peu dangereux ; ils ne les arrêtent point sur la beauté d’une chair étrangère, et ne se rassurent point avec une simplicité perverse ; ils ne disent point : J’ai regardé sans malice, avec bonté, c’est par charité que j’ai regardé longtemps. Ils ont devant les yeux la chute de David, et ils comprennent que ce grand homme est tombé afin d’apprendre aux petits à ne point regarder ce qui pourrait causer leur chute. Ils répriment la liberté de leurs regards : ils ne se familiarisent pas facilement, ne s’entretiennent pas avec des femmes étrangères, ne lèvent point les yeux vers les appartements des autres, ni sur les terrasses voisines. Car David ne vit que de loin cette femme qui causa sa chute. La femme était loin, la luxure était proche. Ce qu’il voyait était loin de lui, ce qui le perdait était en lui. Il faut donc veiller à cette faiblesse de la chair, et se souvenir de ces paroles de l’Apôtre : « Que le péché ne règne pas dans votre chair mortelle[1] ». L’Apôtre n’a pas dit : Qu’il n’y soit point ; mais : « Qu’il n’y règne pas ». Le péché est en toi, quand tu en ressens l’attrait ; il y règne, si tu y consens. Il faut réprimer l’attrait charnel, surtout lorsqu’il nous porte à ce qui est défendu, à ce qui est funeste, et non lui lâcher les rênes. Il faut le dominer, et non pas en être dominé. Regarde sans crainte, si tu n’as rien qui te porte au mal. Mais, diras-tu, je résiste avec force. Es-tu donc plus fort que David ?
4. Un tel exemple nous dit aussi que nul ne doit s’élever dans la prospérité. Il en est beaucoup en effet qui craignent l’adversité et non la prospérité de cette vie. Or, la prospérité est plus dangereuse pour l’âme que le malheur ne l’est pour le corps. L’une commence à corrompre l’esprit, afin que l’autre le puisse abattre. Il nous faut donc, mes frères, redoubler de précautions contre la félicité. Aussi voyez comment la parole de Dieu cherche à nous prémunir contre toute sécurité, quand la félicité nous sourit. « Servez le Seigneur », nous est-il dit, « avec crainte et tremblement, et servez-le avec allégresse »[2]. Avec allégresse, pour le remercier ; avec crainte, pour éviter la chute. David ne pécha point quand il était en butte aux persécutions de Saül. Quand ce saint prophète avait pour ennemi Saül qui le fatiguait de ses poursuites, quand il fuyait çà et là pour ne pas tomber entre ses mains[3], il ne convoita point la femme d’un autre, il ne fit point mourir l’Époux après avoir débauché l’Épouse. Dans cette instabilité du malheur, son âme était d’autant plus fixée en Dieu, qu’il paraissait plus malheureux. Le malheur a donc son utilité, et le fer du médecin est plus utile que les amorces du démon. La disparition de ses ennemis lui donna la tranquillité ; délivré de toute poursuite, son cœur s’enfla. Cet exemple doit donc nous faire craindre la félicité. « J’ai rencontré », dit-il, « la tribulation et la douleur, et j’ai invoqué le nom de mon Dieu[4] ».
5. Mais le crime fut commis ; que mes paroles soient donc un avertissement pour ceux qui ne sont point tombés, afin qu’ils veillent à conserver leur innocence, et que les petits craignent, en voyant tomber un si grand saint. S’il est dans cet auditoire quelque pécheur à qui la conscience reproche quelque crime, qu’il écoute les paroles de ce psaume ; qu’il sonde la profondeur de cette plaie, mais qu’il ne désespère point de la puissance du médecin. Le péché joint au désespoir, c’est la mort certaine. Loin de vous de dire : Puisque j’ai commis telle faute je serai certainement réprouvé, Dieu ne me pardonnera point de si grands crimes, pourquoi n’entasserai-je pas faute sur faute ? Jouissons ici-bas de tous les plaisirs dans la volupté, comme dans la débauche : tout espoir de salut est perdu, jouissons au moins de ce qui est sous nos yeux, si nous ne pouvons posséder ce que promet la foi. Ce psaume est donc de nature à mettre sur leurs gardes ceux qui ne sont pas tombés encore, et à prémunir contre le désespoir ceux qui sont tombés. O pécheur, qui que tu sois, et qui hésites à faire pénitence de tes fautes, parce que tu désespères de ton salut, écoute les gémissements de David. Ce

  1. Rom. 6,12
  2. Ps. 2,11
  3. 1 Sa. 24,5 ; 26,9
  4. Ps. 94,3-4