Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/587

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de votre amour, ils se sont répandus au milieu des nations pour annoncer au monde la gloire de votre humilité : je vois votre nom placé au-dessus de tous les noms, le genre humain en connaît la grandeur ; et pourtant, l’on ne nous a annoncé que votre faiblesse. L’Apôtre des nations, saint Paul, a déclaré ne savoir rien autre chose, parmi nous, que Jésus et Jésus crucifié[1] : par là il voulait nous exciter à préférer les ignominies du Sauveur à la gloire et à l’éclat des Ziphéens. Cependant le même apôtre ajoute, en parlant du Christ : « Quoiqu’il soit mort à cause de sa faiblesse, il vit néanmoins par la puissance de Dieu[2] ». Il est donc venu mourir par infirmité, et il viendra juger par la puissance de Dieu : mais la faiblesse même de sa croix a environné son nom d’une brillante auréole de gloire. Quiconque ne croira pas à ce nom, que la faiblesse a illustré, sera saisi d’épouvante, quand Jésus-Christ viendra juger le monde dans l’éclat de sa puissance. Faible autrefois, mais revêtu de force au jour du jugement, puisse-t-il ne point nous jeter à la gauche, quand il viendra vanner son grain ; et, pour cela, puisse-t-il nous sauver par son nom, et nous juger par sa puissance ! Quel est l’homme assez téméraire pour oser dire à Dieu : « Jugez-moi ? » Quand on veut maudire un homme, ne lui dit-on pas : « Que Dieu te juge ? » Oui, ce serait une véritable malédiction, s’il te jugeait dans sa puissance, sans te sauver par son nom ; mais s’il te sauve d’abord par son nom, il te jugera ensuite favorablement ; sois tranquille : un pareil jugement n’aboutira point pour toi à la punition éternelle, il ne servira qu’à te séparer des méchants. Le Psalmiste s’exprime ainsi en un autre endroit : « O Dieu, jugez-moi et séparez ma cause de celle du peuple qui n’est pas saint[3] ». Qu’est-ce à dire : « Jugez-moi ? » Distinguez-moi des Ziphéens, au milieu desquels je me trouve caché ; je supporte aujourd’hui leur éclat mais vienne bientôt pour moi le moment de briller. L’éclat de la leur n’a duré qu’un instant ; elle a disparu dès que l’herbe s’est desséchée. De quel éclat brillerai-je à mon tour ? « Ils seront plantés dans la maison du Seigneur : ils fleuriront dans les palais de notre Dieu[4] ». Nous fleurirons donc aussi, mais notre beauté ne se flétrira pas : elle sera pareille à la beauté des feuilles de cet arbre planté sur le bord de l’eau, et dont il est écrit : « Et ses feuilles ne tomberont pas[5] ». Donc : « O Dieu, sauvez-moi par votre nom ; jugez-moi dans votre puissance ».
5. « O Dieu, écoutez ma prière : prêtez l’oreille aux paroles de ma bouche ». Que les paroles de ma bouche parviennent jusqu’à vos oreilles, parce que je ne vous demande point l’éclat des Ziphéens. « Prêtez l’oreille aux paroles de ma bouche ». Prêtez l’oreille, car ma prière a beau retentir à l’oreille des Ziphéens, ils ne l’écoutent pas, parce qu’ils ne la comprennent pas. La possession des biens temporels est pour eux un sujet de joie, mais ils ne savent nullement désirer les biens éternels. Que ma prière arrive jusqu’à vous, poussée hors de moi et portée vers vous par le désir de jouir de vos éternels bienfaits : je la dirige vers vous ; aidez-la à y parvenir, à ne pas s’arrêter au milieu de sa course, à ne point retomber à terre. Lors même que vous ne m’accorderiez point ce que je sollicite de votre miséricorde, je ne me troublerai pas ; car, j’en suis sûr, je l’obtiendrai de vous un jour. Il est dit qu’un homme, se trouvant dans le péché, a prié Dieu, et que, pour son plus grand bien, il n’a pas été exaucé. Le désir des biens temporels l’avait porté à prier Dieu ; et parce qu’il se trouvait plongé dans les tribulations de cette vie, il aurait souhaité voir le terme de ses peines et le retour de sa passagère prospérité : c’est pourquoi il s’écria « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? » Ce sont les propres paroles du Christ, paroles adressées par lui à Dieu en faveur de ses membres. « Le cri de mes péchés », dit-il encore, « éloigne de moi le salut : je crie pendant le jour, et vous ne m’écoutez pas ; je crie pendant la nuit, et vous ne m’exaucez pas, afin de m’inspirer la sagesse[6] ». C’est-à-dire : Je crie vers vous la nuit ; et, si vous ne m’exaucez pas, ce n’est point pour me laisser dans mon imprudence, c’est au contraire pour m’enseigner la sagesse ; c’est pour m’apprendre ce que je devais vous demander, Je vous demandais, en effet, des choses qui auraient pu contribuer à me rendre malheureux. O homme, tu demandes des richesses. Tu ne sais donc pas combien d’autres hommes les richesses ont rendus

  1. 1 Cor. 2,2
  2. 2 Cor. 13,4
  3. Ps. 42,1
  4. Id. 91,14
  5. Ps. 1,3
  6. Id. 21,2-3