Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/595

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autre psaume : « La colère a troublé mes yeux » ; et il avait ajouté : « J’ai vieilli au milieu de mes ennemis[1] ». La tempête l’avait assailli, et il avait, comme Pierre, commencé à s’enfoncer dans les flots[2]. Celui qui aime ses ennemis, marche d’un pas ferme sur les vagues de cette vie. Le Christ marchait sans crainte sur les eaux de la mer, parce que nulle épreuve ne peut éteindre en lui l’amour qu’il éprouve pour ses ennemis. Lorsqu’il était attaché à la croix, il s’écria en effet : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font[3] ». Pierre voulut imiter Jésus. Jésus marchait sur les eaux en qualité de chef, et Pierre en qualité de corps, « parce que », avait dit le Sauveur, « sur cette pierre je bâtirai mon Église ». Il reçut l’ordre de marcher sur les eaux, et il y marcha, soutenu par la grâce de son Maître, et non par ses propres forces ; mais, quand il se vit assailli par la tempête, il eut peur, et les flots cédèrent sous ses pas, et il fut troublé dans son exercice. Quelle était cette tempête ? « La voix de l’ennemi et la persécution du pécheur ». L’Apôtre, plongé dans l’eau, s’écria : « Seigneur, sauvez-moi, je péris[4] ». Ainsi s’exprime le Psalmiste : « Seigneur, exaucez ma prière et ne méprisez pas ma demande : soyez attentif à me secourir, exaucez-moi ». Pourquoi ? Quelles sont tes souffrances ? Quelle est la cause de tes gémissements ? « Je suis accablé d’ennuis dans mon exercice ». Vous m’avez placé au milieu des méchants, afin qu’ils exercent ma patience : mais l’épreuve est trop au-dessus de mes forces : calmez mes alarmes, et rendez-moi la paix : tendez-moi une main secourable ; retirez-moi des eaux de la tribulation où je commence à m’engloutir. « Je suis devenu triste dans mon affliction : la voix u de mon ennemi, les persécutions des pécheurs m’ont jeté dans le trouble, car ils ont travaillé à faire peser sur moi leurs injustices ; et, dans leur colère, ils me noircissent » Vous comprenez quels sont et cette tempête et ces flots. Ses ennemis l’insultaient, comme on insulterait une personne plongée dans l’humiliation ; et, pourtant, il priait : ils exerçaient sur lui leur rage en l’accablant de leurs bruyantes injures, et, dans le secret de son cœur, il invoquait le Dieu qu’ils ne voyaient pas.
6. Lorsque le chrétien se sent en butte à de pareilles tribulations, il ne doit ni se laisser conduire par le sentiment de la haine, ni se raidir contre ses persécuteurs : il lui est inutile de lutter contre la tempête : recourir à la prière pour conserver la charité, tel est son devoir. Ton âme doit en effet demeurer inaccessible à la crainte des mauvais procédés de ton ennemi. Quel mal pourrait-il te faire ? Il peut te dire beaucoup d’injures, t’accabler de reproches sanglants, te noircir par ses calomnies : mais, en définitive, n’as-tu pas pour toi cette parole du Sauveur : « Réjouissez-vous et tressaillez d’allégresse, parce que votre récompense sera grande dans le ciel[5] ? » Ton ennemi multiplie ici-bas ses injures, et tu t’assures une plus ample récompense pour le ciel. Mais qu’il ajoute encore à l’iniquité de sa conduite, qu’il pousse sa malice jusqu’à l’extrême, ton avenir ne saurait t’inspirer aucune inquiétude, puisque à toi s’adressent ces paroles du Sauveur : Ne craignez « point ceux qui ne tuent que le corps, et ne peuvent tuer l’âme[6] ». Pourquoi craindre l’ennemi qui te tourmente ? Que ton cœur ne se trouble donc pas, et ne perde rien de cette charité que tu dois ressentir pour lui. Cet ennemi est homme ; il est chair et sang : il n’en veut qu’à ce qu’il voit en toi. Mais tu as un autre ennemi, un ennemi invisible : c’est le prince des ténèbres, qui se sert de cet homme de chair et de sang comme d’un instrument pour te faire souffrir ; il en veut à tes biens invisibles : il cherche à t’enlever et à détruire tes richesses intérieures. Tu as donc deux ennemis, ne l’oublie pas. L’un est visible, l’autre est caché : ton ennemi visible est un homme ; ton ennemi invisible, c’est le démon. Cet homme est pareil à toi sous le rapport de sa nature humaine : par rapport à la foi et à la charité, il ne te ressemble pas encore, mais il pourra te ressembler plus tard. De ces deux ennemis, vois l’un et comprends l’autre : aime le premier, prends garde au second. Ton ennemi visible veut faire disparaître ce qui te donne de l’avantage sur lui : par exemple, si tes richesses surpassent les siennes, il veut te rendre pauvre : si tu le domines par ta haute position, il cherche à t’abaisser : si tu es plus fort que lui, son ambition est de t’affaiblir : ses efforts tendent à détruire en toi ou à te prendre ce qui lui

  1. Ps. 6,8
  2. Mt. 14,30
  3. Lc. 23,34
  4. Mt. 14,30
  5. Mt. 5,12
  6. Id. 10,28