Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/601

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14. « Sur ses places on rencontre toujours « l’usure et la tromperie[1] ». L’usure et la tromperie sont des crimes ; elles devraient donc, au moins, se dérober aux regards du public ; loin de là, elles s’étalent et s’exercent au grand jour. Celui qui se tient dans l’intérieur de sa maison pour faire le mal, rougit encore de sa conduite ; mais, « sur ses places on rencontre toujours l’usure et la tromperie ». L’usure est élevée à la hauteur d’une profession ; on dit qu’elle est un art ; ceux qui l’exercent forment une corporation, mais une corporation nécessaire au bien-être de la cité, qui recueille le bénéfice de sa profession, et qui, loin de se cacher, ne craint pas de se montrer sur les places publiques. À côté de cette usure il en est une autre plus coupable encore ; elle consiste à ne point pardonner les offenses d’autrui, et à avoir les yeux troublés quand tu récites ces paroles de l’Oraison dominicale : « Remettez-nous nos dettes ». Lorsque tu prieras et que tu en seras venu en cet endroit de la prière, à quoi t’arrêteras-tu ? Une parole outrageante est venue frapper tes oreilles, et pour cela tu exiges la honte d’une condamnation ? Malheureux usurier en fait d’injures ! N’exige pas plus que tu n’as donné. Tu as reçu un soufflet, et tu réclames la mort de ton agresseur ? Usure condamnable ! Comment pourras-tu prier ? Et si tu abandonnes la prière, comment trouveras-tu accès auprès de Dieu ? Tu diras : « Notre Père, qui êtes aux cieux, que votre nom soit sanctifié ; que votre règne arrive ; que votre volonté soit faite sur la terre comme dans le ciel ; donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien ». Tu arriveras enfin à ces paroles : « Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent[2] ». Qu’il y ait de ces usures dans cette ville méchante, j’y consens ; mais que jamais elles ne pénètrent à l’intérieur de cette cité où l’on se frappe la poitrine. À quel parti t’arrêteras-tu, quand lu te trouveras en cet endroit de ta prière ? C’est le divin avoué qui a composé pour toi cette formule de prière ; il savait d’avance l’opposition de ses paroles avec ta conduite ; aussi a-t-il ajouté : « Car en vérité je vous le dis, si vous remettez aux hommes leurs offenses qu’ils vous ont faites, les vôtres aussi vous seront remises ; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes leurs offenses, votre Père ne vous pardonnera pas a non plus les vôtres[3] ». Qui est-ce qui a dit cela ? Celui qui connaît tes dispositions, et qui le voit debout devant lui pour le prier. Il a voulu devenir ton avocat, ton avoué, ton intercesseur auprès de Dieu ; il sera plus tard ton juge et il te dit : Tu n’obtiendras rien autrement. Que faire alors ? Si tu ne prononces pas ces paroles, tu n’obtiendras rien ; il en sera de même, si lu les prononces contre ta façon de penser. Il faut donc que tu les répètes avec franchise ou que tu agisses d’accord avec elles, ou bien tu ne mériteras pas de voir ta prière exaucée ; car ceux qui ne se conduisent pas ainsi, sont du nombre de ces usuriers coupables dont nous avons parlé. Qu’il en soit ainsi de ceux qui adorent ou cherchent les idoles ; mais, ô peuple de Dieu, ô peuple de Jésus-Christ, ô corps sacré de ce divin chef, qu’il n’en soit jamais ainsi de toi ! Considère le lien de la paix qui vous unit ; considère les promesses de vie qu’on t’a faites. Quel bénéfice le procureraient tes exigences à l’égard de celui qui t’a offensé ? La vengeance pourrait-elle guérir les blessures de ton âme ? Aurais-tu à te réjouir du mal d’autrui ? Tu as eu à supporter des traitements mauvais : pardonne, afin que vous ne soyez pas deux méchants. « Sur ses places a on rencontre toujours l’usure et l’iniquité ».
15. Tu ne peux supporter la contradiction et l’iniquité qu’on rencontre dans cette ville ; voilà donc pourquoi tu cherchais la solitude ; voilà pourquoi tu désirais des ailes ; voilà la cause de tes murmures. Repose-toi au milieu de ceux qui sont, comme toi, dans le sein de l’Église. Ne cherche pas la solitude ; écoute ce que dit le Prophète en parlant d’eux : « Si un ennemi m’avait insulté ». Il avait dit plus haut qu’il était troublé dans son exercice parles clameurs de son ennemi et les persécutions des pécheurs ; car il se trouvait peut-être dans cette ville qui bâtit par orgueil une haute tour, et qui vit ses langues divisées par la destruction de son œuvre[4], Écoute les gémissements qui tombent de ses lèvres dans le sein même de l’Église, à cause des périls où l’exposent des faux frères, a Si un ennemi m’avait insulté, je l’aurais souffert en patience ; et si celui qui me haïssait a avait ouvert la bouche », c’est-à-dire s’il m’avait orgueilleusement insulté, s’il m’avait

  1. Ps. 54, 12
  2. Mt. 6, 9-13
  3. Mt. 6, 14-15
  4. Gen. 11, 4