Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/615

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le leur. Tout homme est, ici-bas, un voyageur en pays étranger ; vous nous y voyez, parce que nous sommes entièrement couverts de chair ; mais cette enveloppe charnelle vous empêche d’apercevoir le fond de nos cœurs. Voilà pourquoi l’Apôtre a dit : « Ne jugez pas avant le temps, jusqu’à ce que vienne le Seigneur qui éclairera les ténèbres les plus secrètes, et qui fera voir à découvert les pensées du cœur ; et, alors, chacun recevra de Dieu sa gloire et sa récompense[1] ». En attendant ce grand jour, pendant le cours de ce pèlerinage terrestre, chacun de nous porte son cœur en lui-même, et tous les cœurs sont un livre fermé pour tous les autres. Par conséquent, « ils habiteront comme des étrangers et ils se cacheront » ceux dont les desseins sont méchants à l’égard du juste qu’ils persécutent. Ils voyagent en ce lieu d’exil ; ils y sont revêtus de chair ; aussi cachent-ils leur fourberie dans le secret de leur cœur ; ils y renferment toutes leurs pensées mauvaises. Pourquoi ? Parce que cette vie est un voyage en pays étranger. Qu’ils mettent tous leurs soins à déguiser leurs pensées ; un jour viendra où ce qu’ils cachent sera étalé aux regards de tous, où ils ne pourront plus se cacher eux-mêmes. On peut encore donner un autre sens à ces paroles : « Ils se cacheront ». Cette seconde explication plaira peut-être davantage. Les hommes qui se sont séparés des saints, s’introduisent parfois dans leurs rangs, revêtus du manteau de l’hypocrisie, et le mal qu’ils font au corps du Christ est d’autant plus déplorable qu’on ne peut les éviter, comme s’ils lui étaient entièrement étrangers. Dans le récit de ses tribulations l’Apôtre place, au nombre de ses plus pénibles, celles qui lui sont venues des hypocrites : « Périls des eaux », dit-il ; « périls des voleurs, périls du côté de ma nation, périls de la part des gentils, périls dans la ville, périls dans les déserts, périls sur mer », et il ajoute : « Périls de la part des faux frères[2] ». Ils sont surtout à craindre, ceux dont il est dit dans un autre psaume : « Ils entraient pour voir[3] ». Ils entrent pour soir, et personne ne peut leur dire : N’entre pas pour voir. Car s’il entre, c’est en qualité de frère, et non comme étranger : on ne s’en défie pas. « Ils habiteront donc comme étrangers, et ils se cacheront ». Puisqu’ils entrent dans l’Église, comme dans une grande maison, sans intention d’y demeurer toujours, « ils y habiteront comme étrangers ». Le Seigneur a voulu nous faire comprendre que de tels pécheurs sont des esclaves, car, suivant l’oracle évangélique, « celui qui commet le péché est l’esclave du péché » ; c’est pourquoi il y est dit : « Le serviteur ne demeurera pas toujours dans la maison, mais le fils y « demeurera éternellement[4] ». Celui qui entre dans l’Église en qualité d’enfant, n’y restera pas comme étranger, mais il y demeurera jusqu’à la fin[5]. Mais celui qui y pénètre comme un esclave, comme un fourbe, comme un pécheur, qui n’obéit que sous le regard du maître, qui cherche à dérober, à accuser, à blâmer, celui-là n’y entre que comme étranger, il n’y demeurera pas d’une manière fixe et permanente. Mes frères, de pareilles gens ne doivent nous inspirer aucune crainte : « J’ai placé en Dieu mon espérance : je ne craindrai pas ce que l’homme pourra me faire ». Qu’ils entrent dans notre maison, qu’ils y séjournent, qu’ils usent de dissimulation, qu’ils cachent leurs pensées, peu importe : ils ne sont que chair. Pour toi, mets tes espérances dans le Seigneur, et la chair ne sera pas capable de te faire du mal. Mais l’homme m’accable d’afflictions, il me foule aux pieds. —. Puisque tu es raisin, si tu es écrasé, tu donneras du vin : les peines que tu auras à endurer, porteront des fruits, car un autre verra ta patience et l’imitera. Pour apprendre à supporter ceux qui te font souffrir, n’as-tu pas toi-même porté tes regards sur ton chef, sur cette première grappe de raisin, sur le Sauveur, en la compagnie de qui l’homme, c’est-à-dire, le traître Judas est entré pour voir, a établi son séjour et s’est caché ? Pourquoi craindrais-tu les hypocrites, qui entrent dans l’Église, y demeurent et s’y cachent ? Tu n’as aucun motif de le faire. Judas, le père de ces fourbes, a vécu dans la société du Sauveur, et Jésus le connaissait : Judas vivait avec lui comme fin étranger, et, quoiqu’il déguisât avec soin ses intentions perverses, les secrets de son cœur n’étaient nullement un mystère pour son maître : il fut choisi, et puisque tu devais ignorer de quels hommes il faudrait t’éloigner, le Christ a voulu te faire trouver, dans sa propre conduite, un sujet de consolation. Il aurait pu ne pas choisir Judas, car il le connaissait :

  1. 1 Cor. 4,5
  2. 2 Cor. 11,26
  3. Ps. 40,7
  4. Jn. 8,34-35
  5. Mt. 10,22 ; 24,13