Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/630

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N’est-ce pas plutôt ce peuple qui, par ses cris furieux, a extorqué d’un juge pusillanime une condamnation à mort ? Appelons-en au témoignage du Sauveur lui-même ; qu’il nous fasse connaître les vrais auteurs de sa mort. Prononcera-t-il le nom de Pilate ? Mais il a condamné malgré lui le Christ. Sans doute, il l’a fait frapper de verges et revêtir d’une tunique méprisable ; et, après cela, il l’a fait exposer à leurs regards ; mais dans quel but ? C’était afin que leur rage, assouvie par le spectacle de ses blessures sanglantes, n’exigeât pas de sa faiblesse une suprême condamnation. Voilà pourquoi, en les voyant persister à réclamer la mort de leur victime, il lava ses mains, comme nous le voyons dans l’Évangile, et s’écria : « Je suis innocent du sang de ce juste[1] ». À ton avis, Pilate, qui a cédé aux cris de la multitude, est-il innocent ?. Non : mais incontestablement ceux-là sont encore plus coupables, qui ont obtenu par leurs cris son sanglant supplice. Interrogeons le Sauveur, écoutons-le : il nous dira à qui il attribue sa mort, car il a dit : « J’ai dormi dans le trouble ». Interrogeons-le, et disons-lui : Puisque vous avez dormi dans le trouble, apprenez-nous quels sont ceux qui vous ont persécuté et fait mourir. Est-ce bien Pilate qui vous a livré aux soldats pour vous faire attacher à la croix et transpercer de clous ? Écoute, il va te le dire. Ce sont « les enfants des hommes ». Il désigne évidemment par là ceux qui l’ont fait souffrir. Mais comment ont-ils pu le faire mourir, puisque leur main n’était point armée ? lls n’ont pas tiré l’épée contre lui ; ils ne se sont point précipités sur sa personne ; et, pourtant, ils l’ont fait mourir : voici comment. « Leurs dents sont des armes et des traits perçants ; leur langue est une épée tranchante ». Remarquez-le bien : si leurs mains sont dépourvues d’armes, leur bouche est armée. C’est de là qu’est sorti le glaive qui a tué le Christ, comme, de la bouche du Christ, est sortie l’épée qui a donné la mort au peuple juif. Car le Sauveur est armé d’une épée à deux tranchants : par sa résurrection il en a frappé ses ennemis, et il a tiré du milieu d’eux ceux qu’il prédestinait à la foi[2]. L’épée des Juifs était malfaisante, celle du Christ était salutaire ; les flèches des uns donnaient la mort, les flèches de l’autre communiquaient la vie : car il tient en ses mains des traits bienfaisants : ce sont ses paroles saintes, avec lesquelles il blesse les cœurs, afin de s’en faire aimer. Bien différentes sont les flèches de ses ennemis : bien autre est leur glaive. « Les dents des enfants des hommes sont des armes et des traits perçants : leur langue est une épée tranchante ». La langue des enfants des hommes est une épée tranchante : leurs dents sont des armes et des traits perçants. À quel moment les ont-ils mis en œuvre, sinon quand ils ont crié : Crucifiez-le ! Crucifiez-le[3] !
13. Mais, ô mon Dieu, quel mal vous ont-ils fait ? Que le Prophète se livre maintenant aux transports de la joie. Dans tous les versets que nous venons d’expliquer, c’était Dieu qui parlait : nous entendions le Prophète, mais il nous parlait au nom de Dieu : Dieu était en lui. Mais quand le Prophète nous parle en son propre nom, le Seigneur se sert de lui comme d’un organe, car il lui dicte la vérité qu’il doit annoncer. Maintenant donc, mes frères, écoutons le Prophète nous parlant en son propre nom. Le Prophète avait vu en esprit le Seigneur Jésus humilié, sanglant, frappé de verges, couvert de crachats, privé de l’usage de ses mains, souffleté, couronné d’épines, attaché à la croix : il avait vu la cruauté de ses ennemis et sa patience, leur joie insensée et son apparente défaite ; et, après tant d’humiliations de sa part, et tant de rage furieuse de la leur, il avait vu sa résurrection, et l’inanité des tourments dont les Juifs l’avaient accablé : alors, transporté de joie à la vue d’un spectacle qui semblait s’étaler sous ses yeux, il s’écrie : « O Dieu, élevez-vous au plus haut des cieux ! » Attaché à la croix en tant qu’homme, et comme Dieu, élevé au plus haut des cieux, voilà le Christ, Que vos ennemis restent sur la terre : pour vous, montez au plus haut des cieux, afin de les juger. Que sont devenus ces furieux ? Où sont leurs dents tranchantes comme des épées, et perçantes comme des flèches ? Est-ce « que les blessures qu’ils ont faites, ne ressemblent pas aux blessures que les enfants font avec leurs flèches ? » Le Psalmiste s’exprime ainsi dans un autre endroit pour montrer l’inutilité de leurs mauvais traitements et des fureurs auxquelles ils se sont abandonnés.

  1. Mt. 27,24
  2. Apoc. 1,16
  3. Jn. 19,6