Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/650

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jouir, interrogez-vous vous-mêmes ; voyez si vos désirs ne sont pas pour vous la source des plus cuisantes douleurs ; et, si un jour vous pouvez atteindre à votre coupable but, soyez en sûrs, la crainte vous tourmentera cruellement. Considérez donc à quelles peines vous êtes ici-bas condamnés, avant que vienne la résurrection des morts, avant que votre corps sorte du tombeau pour ne pas être changé ; « car nous ressusciterons tous, mais nous ne serons pas tous changés[1] ». Les méchants auront une chair de corruption pour souffrir et non pour mourir, parce que, s’ils mouraient, leurs douleurs auraient un terme ; alors ils sentiront toutes les épines du nerprun, c’est-à-dire toutes les douleurs et la poignante vivacité de leurs tourments. Quelles épines feront souffrir ces malheureux quand ils s’écrieront : « Voilà ceux dont nous nous sommes autrefois moqués[2] » Épines de regret et de repentir ! Mais pénitence trop tardive ! Repentir infructueux et stérile comme les épines ! La pénitence d’aujourd’hui est une peine salutaire ; celle du dernier jour ne sera qu’une punition infligée par la vengeance divine. Veux-tu n’être point transpercé par ces épines de la fin des temps ? Laisse-toi blesser aujourd’hui par celles d’un repentir utile ; mets en pratique ces paroles du Psalmiste : « Je me suis converti dans le chagrin que l’épine m’a causé en me transperçant. J’ai reconnu mon péché ; je n’ai point caché mon injustice. J’ai dit : Je déclarerai moi-même mon iniquité en face du Seigneur ; et vous m’avez pardonné l’impiété de mon cœur[3] ». Commence dès maintenant ; que ton âme soit brisée par la componction ; puisses-tu ne jamais mériter qu’on dise de toi ce que l’Écriture a dit de certaines personnes vraiment dignes de mépris : « Ils ont été déchirés, et néanmoins ils n’ont pas été touchés de componction[4] ». Remarquez bien, je vous prie, quels sont ces hommes « déchirés sans être touchés de componction » ?. Vous les voyez blessés, vous ne les voyez pas contrits et repentants. Ils sont hors de l’Église et n’en ressentent aucune peine ; aussi ne cherchent-ils pas à rentrer dans le giron de celle dont ils ont été violemment arrachés. Leur nerprun produira plus tard pour eux des épines ; ils ne veulent pas aujourd’hui de blessures qui les guérissent ; un jour viendra où ils seront blessés pour leur malheur. Aujourd’hui déjà, et quoique le nerprun ne se soit point encore transformé en un buisson épineux, une flamme est tombée sur eux, qui ne leur permet pas de voir le soleil, et qui sert d’instrument à la colère de Dieu pour les dévorer tout vivants : c’est la flamme des passions désordonnées, du désir des vains honneurs, de l’orgueil, de leur avarice ; elle les enveloppe de toutes parts, et, par suite, ils ignorent la vérité, ils ne s’aperçoivent nullement de leur défaite, et la vérité elle-même est incapable de les assujettir à son joug. Qu’y a-t-il pourtant de plus glorieux, mes frères, que de se laisser vaincre et assujettir par la vérité ? Soumets-toi volontairement à elle, parce qu’elle te dominerait plus tard malgré toi. Toutefois ce feu des mauvais désirs qui tombe sur les pécheurs, afin de les empêcher d’apercevoir le soleil, dévore le nerprun avant qu’il montre ses épines, c’est-à-dire qu’il enveloppe comme d’un nuage leur mauvaise vie, avant que se fassent sentir les douleurs éternelles dont elle sera manifestement punie ; c’est par un effet de la colère divine que ce feu cache le nerprun. Ne voyez-vous pas déjà pour eux une punition effrayante en ce qu’ils ne voient pas le soleil, et en ce qu’ils s’imaginent n’avoir pour jamais à redouter les douloureuses conséquences de leur vie de péché ? Vous êtes, nous dit le Prophète, un nerprun ; la flamme de vos passions mauvaises vous dévorera tout vivants, c’est-à-dire, pendant que vous êtes en ce monde ; ainsi sera-t-elle déjà l’instrument de la vengeance de votre Dieu ; elle vous dévorera avant que vos fautes produisent pour vous au dernier jugement les épines visibles de votre éternelle punition ; ou, pour m’exprimer autrement, elle semblera vous dévorer, car elle vous déguisera vos égarements. Voici donc, à mon avis, la meilleure manière de coordonner le sens de cette phrase : « Un feu est tombé sur eux, et ils n’ont pas vu le soleil ; ce feu, instrument de la colère divine, vous dévorera comme si vous étiez vivants, comme si vous étiez un nerprun qui n’a pas encore formé ses épines » ; c’est-à-dire : Vous êtes un nerprun ; le feu de la colère de Dieu vous consumera avant votre mort, avant que vous produisiez les épines qui vous feront souffrir après la mort, au jour de votre résurrection. Pourquoi,

  1. 1 Cor. 15,51
  2. Sag. 5,3
  3. Ps. 31,4-6
  4. Id. 34,16