Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/658

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venir à sa rencontre ? En serait-il de lui comme d’un homme qui ne pourrait te connaître de loin pendant ta promenade, et à qui tu dirais à haute voix : Viens à ma rencontre, et tu verras comment je marche ; car, en me considérant à pareille distance, tu ne peux examiner mes pas ? Encore une fois, en serait-il ainsi de Dieu ; et, pour s’apercevoir que le Prophète suit la voie droite et court sans péché, aurait-il besoin de venir à sa rencontre ? Nous pouvons donc expliquer ainsi ces paroles : « Venez à ma rencontre » : venez à mon secours : aidez-moi. Et ces autres mots : « Et voyez », doivent s’entendre en ce sens : Faites qu’on me voie courir, faites qu’on me voie marcher dans le chemin droit : car autrefois Dieu parlait dans le même sens à Abraham : « Je connais maintenant que tu crains le Seigneur[1] ». Dieu dit : « Je connais », pour dire : Je t’ai fait connaître ; chacun de nous, en effet, s’ignore lui-même avant l’expérience que lui donne la tentation. Ainsi, quand il présumait de lui-même, Pierre ne se connaissait pas : il apprit jusqu’où allaient ses forces, au moment ois il reniait sois Maître : à la suite de sa chute, il comprit qu’il avait à tort présumé de lui-même ; il pleura[2], et, par ses larmes, il mérita pour son profit de savoir ce qu’il avait été, et de devenir ce qu’il n’était pas. Lors donc que Dieu éprouva Abraham, il lui donna la connaissance de lui-même, et lui dit : « Je connais maintenant », c’est-à-dire, je t’ai fait connaître. Ainsi, donne-t-on le nom de gai au jour qui nous procure de la joie, et celui de triste au jour qui nous plonge dans la tristesse ? Pour la même raison on dit que Dieu voit, quand il fait voir. « Venez donc à ma rencontre », dit le Prophète, « et voyez ». Quel sens faut-il donc donner à ces paroles ? Aidez-moi, et faites que mes ennemis voient mes traces ; qu’ils me suivent : que ce qui est bon ne leur paraisse point mauvais, et que ce qui est conforme à la règle de la vérité ne leur semble pas opposé à la droiture. « Parce que j’ai couru sans péché, et suivi la droite voie ; venez à ma rencontre et voyez ».
10. L’excellence de notre Chef m’engage à vous parler ici de lui. Il a, en effet, voulu devenir faible jusqu’à mourir, et pour rassembler sous ses ailes les petits de Jérusalem, il s’est revêtu de, l’infirmité de notre chair, imitant par là l’exemple de la poule qui se fait petite avec ses petits. De tous les oiseaux que nous avons été à même d’examiner, qui font leurs nids sous nos yeux, par exemple les oiseaux de murailles, les hirondelles qui viennent tous les ans nous demander l’hospitalité, les cigognes et les autres oiseaux d’espèces différentes qui font leurs nids devant nous, qui couvent leurs œufs et nourrissent leurs petits, comme les pigeons dont nous pouvons tous les jours étudier les mouvements ; de tous ces oiseaux il n’en est aucun pour se faire petit avec ses petits ; nous n’en avons jamais rencontré, connu ou vu, pour ressembler à la poule. Car, que fait-elle ? Je ne relate pas ici un fait inconnu ; tous ceux qui m’entendent le savent pour en avoir été souvent témoins voyez comme sa voix devient rauque, comme son corps tout entier se hérisse ; ses ailes traînent à terre, ses plumes tombent ; elle éprouve pour ses petits je ne sais quel malaise, et cette sorte de maladie n’est chez elle que l’effet de son amour maternel. Voilà pourquoi, dans la sainte Écriture, le Sauveur se compare à une poule et tient ce langage : « Jérusalem, Jérusalem, combien de fois j’ai voulu rassembler tes petits, comme la poule rassemble les siens sous ses ailes, et tu ne l’as pas voulu[3] ! » Comme fait une poule pour ses petits, ainsi a-t-il rassemblé toutes les nations en se faisant faible pour nous, en nous empruntant, en empruntant au genre humain l’infirmité de la chair, en se laissant crucifier, mépriser, souffleter, flageller, attacher au bois de sa croix et percer d’un coup de lance. En tout cela nous devons voir l’effet de sa tendresse de mère pour nous, et non pas la preuve de la perte de sa puissance souveraine ; et parce qu’il a été réduit à cet état de faiblesse et d’humiliation, il est devenu une pierre d’achoppement et de scandale contre laquelle plusieurs se sont heurtés[4]. Réduit à cet état d’infirmité, revêtu de notre chair sans en prendre le péché, le Christ est devenu participant de notre faiblesse, sinon de notre injustice ; et, en prenant ainsi part à notre faiblesse, il a fait disparaître notre injustice ; c’est pourquoi il dit : « J’ai couru sans injustice et j’ai suivi la voie droite ». Mais ne devons-nous pas voir en lui la nature divine ? devons-nous méconnaître en lui la toute-puissance qui nous a créés, pour ne considérer

  1. Gen. 22,12
  2. Mt. 26,35.69-75
  3. Mt. 23,37
  4. Rom. 9,32 ; 1 Pi. 2,8