Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VIII.djvu/672

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mon appui, je vous chanterai des « hymnes, parce que, ô mon Dieu, vous êtes mon protecteur ». Que serais-je, si vous n’étiez venu à mon secours ? Combien mes maux seraient désespérés, si vous n’étiez venu vous-même me guérir ! En quel abîme serais-je plongé, si vous ne m’aviez tendu la main. Une plaie profonde mettait ma vie en danger ; il me fallait un médecin tout-puissant pour la guérir, mais rien n’est impossible pour le médecin : ses soins sont acquis à tous les malades ; il faut que tu consentes à te laisser guérir par lui ; il faut te remettre entre ses mains, tu ne saurais t’écarter de lui. Si tu refuses de te guérir, ta blessure elle-même te recommande de te soigner ; tu lui tournes le dos, il te rappelle, et quand tu t’écartes de lui, il te force en quelque sorte à t’en rapprocher ; ses instances sont de tous les moments, et pour tous il accomplit cette parole : « Sa miséricorde me préviendra ». Faites bien attention à ces mots : « Me préviendra ». Si tu lui as offert quelque chose qui t’appartient en propre, si tu as mérité sa grâce par tes bonnes œuvres antécédentes, sa miséricorde ne t’a pas prévenu. Mais comprendras-tu jamais bien que le Seigneur t’a prévenu, si d’abord tu ne saisis pas bien le sens des paroles de l’Apôtre : « Qu’as-tu que tu n’aies pas reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi t’en glorifier, coin me si tu ne l’avais pas reçu »[1]. En d’autres termes « Sa miséricorde me préviendra ». En présence de tous les dons qui peuvent faire notre partage ici-bas, soit par l’effet de notre nature, soit comme conséquence de l’éducation ou de la fréquentation de la société, la foi, l’espérance, la charité, les bonnes mœurs, la justice, la crainte de Dieu, le Prophète arrive à cette conclusion, que tous ces dons ne peuvent nous venir que de Dieu, et il dit : « Vous êtes mon Dieu, vous êtes ma miséricorde ». Comblé des bienfaits du Seigneur, il ne sait quel nom lui donner, il ne sait que l’appeler sa miséricorde. Nom ineffable, qui ne permet plus à personne de tomber dans le désespoir. « Vous êtes mon Dieu, vous êtes ma miséricorde ». Qu’est-ce à dire : « Vous êtes ma miséricorde ? » Si tu dis : Vous êtes mon Sauveur, je comprends qu’il donne le salut. Si tu dis : Vous êtes mon refuge, je comprends que tu te jettes dans ses bras pour y trouver le calme. Si enfin tu t’écries : Vous êtes ma force, j’imagine qu’il te soutient. Mais : « Vous êtes ma miséricorde ! » cette manière de s’exprimer signifie : Tout ce que je suis est un don de votre miséricorde. Mais l’ai-je méritée par mes prières ? Pour devenir ce que je suis, qu’ai-je fait ? Qu’ai-je fait pour exister et me trouver à même de vous prier ? Si j’ai contribué en quelque chose à mon existence, j’existais donc avant d’exister ! Mais si je n’étais rien avant d’exister, je n’ai donc pu contribuer en rien à me donner l’être. Vous êtes l’auteur de ma vie, et vous ne sauriez être l’auteur de ce qu’il y a de bon en moi ? C’est vous qui m’avez communiqué l’être, et un autre aurait pu me rendre bon ? Si je tenais de vous la vie, et d’un autre la bonté, il s’ensuivrait qu’un autre serait meilleur que vous, car la bonté est préférable à l’existence. Mais comme personne n’est ni meilleur, ni plus puissant, ni plus miséricordieux que vous, vous m’avez donné et la vie et la vertu. « Vous êtes mon Dieu, vous êtes ma miséricorde ».

  1. 1 Cor. 4,7