Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/114

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

se sont reposés ». Les pieds de qui ? Du Seigneur, ou de la maison du Seigneur ? Car le lieu où le Prophète nous dit qu’il faut l’adorer, c’est la maison du Seigneur. « Nous adorerons dans le lieu où ses pieds se sont reposés ». Ce n’est que dans sa maison que le Seigneur nous exauce pour la vie éternelle. Or, celui-là fait partie de la maison du Seigneur, qui est lié par la charité aux pierres vivantes qui la composent. Mais celui-là tombe, qui n’a point la charité, et la maison n’en demeure pas moins après sa chute. Que nul n’ose menacer cette maison, quand il commence à en devenir une pierre en quelque sorte, et qu’il veut tomber, comme si l’on pouvait nuire à cette maison. Tel fut l’orgueil qui s’empara du premier peuple juif, et lui fit dire que le Seigneur, qui avait fait à Abraham son père de si magnifiques promesses relativement à sa postérité, ne saurait y manquer ; et tranquilles sur cette promesse de Dieu, ils commettaient toutes sortes de désordres, dans la persuasion qu’il leur pardonnerait leurs péchés, non point en considération des mérites de ces criminels, mais en considération des mérites d’Abraham, dont tous les enfants, quelle que soit leur dépravation, seraient néanmoins rassemblés pour lui former une maison d’éternelle durée. Mais que dit Jean ? « Race de vipères[1] ». Ces enfants d’Abraham venaient à lui pour recevoir le baptême de la pénitence, et il ne leur dit point : race d’Abraham, mais race de vipères. Car ils ressemblaient à ceux qu’ils imitaient. Dès lors, ils n’étaient plus enfants d’Abraham, mais enfants des Amorrhéens, des Chananéens, des Gergéséens, des Jébuséens, et de tous ceux qui péchaient contre Dieu. Ils en étaient les fils, puisqu’ils en imitaient les actions. « Race de vipères donc, qui vous a enseigné à fuir la colère à venir ? Faites de dignes fruits de pénitence, et ne dites point : Nous avons Abraham pour père ; car Dieu peut, de ces pierres, susciter des enfants d’Abraham[2] ». En parlant de la sorte, Jean voyait sans doute quelques pierres dans les campagnes boisées, et desquelles surgirent des enfants d’Abraham. Car ces fils d’Abraham sont bien plus ceux qui ont imité ses vertus, que ceux qui sont nés de sa chair. Que personne dès lors ne menace la maison de Dieu, en disant : Je me retire et la maison tombera.
Il lui est avantageux d’entrer dans le, corps de l’édifice et d’avoir la charité ; car s’il tombe, la maison n’en subsistera pas moins. C’est pourquoi, mes frères, la maison de Dieu subsiste dans ceux qu’il a prédestinés, et dont il a prévu la persévérance. C’est d’eux qu’il est dit : « Où ses pieds se sont reposés ». Il en est, en effet, qui ne persévèrent point, et en qui ne reposent point ses pieds. Ils ne sont donc point de l’Église, et n’appartiennent point à ce qui est aujourd’hui le tabernacle, et plus tard le palais. Mais où se sont reposés les pieds du Seigneur ? « Parce que l’iniquité abonde », nous dit le Sauveur, « la charité de plusieurs se refroidira[3] ». Or, ses pieds ne se reposent point en ceux dont la charité se refroidit. Mais que dit ensuite le Sauveur ? « Celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé[4] ». C’est en ceux-là que se reposent ses pieds : c’est là que tu dois adorer, c’est-à-dire, sois de ceux en qui se reposent les pieds du Seigneur.
14. Mais si dans cette parole : « Où se sont arrêtés ses pieds », tu veux voir les pieds de la maison elle-même : que tes pieds demeurent fermes dans le Christ ; et tes pieds seront fermes dans le Christ, si tu persévères en lui. Qu’est-il dit, en effet, du diable ? « Celui-là est homicide dès le commencement, et il n’est point demeuré ferme dans la vérité[5] ». Ses pieds donc ne se sont point arrêtés. De même il est dit des orgueilleux : « Que le pied de l’orgueil ne me heurte point, que la main des pécheurs ne m’ébranle point. Là sont tombés ceux qui commettent l’iniquité, ils ont été repoussés, et n’ont pu demeurer fermes[6] ». Ils forment donc la maison de Dieu, ceux dont les pieds sont fermes. Aussi, que dit Jean dans ses transports de joie : « L’Époux est celui à qui est l’Épouse ; mais l’ami de l’Époux est celui qui se tient debout et qui écoute ». S’il ne demeure ferme, il ne l’écoute pas. « Cet ami est plein de joie à la voix de l’Époux[7] ». C’est avec raison qu’il demeure ferme, puisqu’il se réjouit à la voix de l’Époux ; car il tomberait bientôt s’il se réjouissait de sa propre voix. Vous comprenez dès lors pourquoi sont tombés ceux qui ont mis leur joie dans leur propre parole. Cet ami de l’Époux disait : « C’est là celui qui baptise »[8]. Il en est qui disent : C’est nous

  1. Mt. 3,7
  2. Id. 8,9
  3. Mt. 24,12
  4. Id. 13
  5. Jn. 8,44
  6. Ps. 35,12-13
  7. Jn. 3,29
  8. Id. 1,33