Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/146

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délivre de la misère ; et que la création du ciel, de la terre, et des astres1, loin d’être une œuvre de miséricorde, est une œuvre de bonté pour celui dont toutes les créatures sont excellentes. Créer, en effet, c’était donner la vie à toutes choses ; mais l’œuvre de sa miséricorde est de nous purifier de nos péchés, et de nous délivrer d’une misère éternelle. C’est donc à nous que s’adresse le Psalmiste quand il dit : « Confessez au Dieu des dieux, confessez au Seigneur des seigneurs ». Confessez « à celui qui seul fait de grandes merveilles » ; confessez « à celui qui a fait le ciel par son intelligence » ; confessez « à celui qui a affermi la terre sur les eaux » ; confessez « à celui qui seul fait les grands flambeaux » ; et à la fin de chaque verset, il nous dit pourquoi nous devons le confesser, « c’est que sa miséricorde est éternelle »[1].
5. Mais pourquoi dire qu’« il a fait seul de grandes merveilles ? » Est-ce parce qu’il a fait de nombreux prodiges par le moyen des hommes et des anges ? Il y a certaines merveilles que Dieu fait lui seul, et que nous énumère le Psalmiste en disant : « Qui a fait le ciel par son intelligence, qui a affermi la terre sur les eaux, qui a fait seul de grands corps de lumière[2] ». Le Psalmiste a mis ici le mot seul, parce que Dieu a fait les autres œuvres par l’intermédiaire des hommes. Après avoir dit que Dieu a fait seul les grands corps de lumière, il nous les énumère en disant : « Le soleil pour présider au jour, la lune et les étoiles pour présider à la nuit ». Ensuite il commence l’énumération des œuvres que Dieu a faites par les anges, ou par les hommes. « Il a frappé l’Égypte avec ses premiers-nés[3] », et le reste. Dieu donc a fait toutes les créatures, non par l’intermédiaire d’une autre créature ; mais lui seul. Le Prophète rapporte seulement ici quelques-unes des créatures les plus excellentes, les cieux spirituels, la terre visible, pour nous faire juger du reste. Or, comme il y a aussi des cieux visibles, après avoir spécifié les flambeaux, il nous avertit de regarder comme l’œuvre de Dieu tout ce qu’il y a de corporel dans le ciel.
6. Toutefois cette expression : « Il a fait les cieux dans la raison », ou comme d’autres ont traduit, « dans l’intelligence », a fait demander si le Prophète voulait dire que Dieu a fait les cieux intelligibles, ou s’il les a faits dans sa raison ou son intelligence, c’est-à-dire dans sa sagesse, ainsi qu’il est dit ailleurs : « Vous avez tout fait dans votre sagesse[4] », nous insinuant que c’est par le Verbe, son fils unique. Mais s’il en est ainsi, s’il nous faut comprendre que Dieu a tout fait dans son intelligence, pourquoi le Prophète ne parle-t-il ainsi que du ciel, taudis que Dieu a tout fait dans sa sagesse ? Ou bien le Prophète ne voulait-il l’exprimer ici seulement, que pour nous faire comprendre qu’il est sous-entendu ailleurs ; en sorte que le sens serait : « Il a fait les cieux avec intelligence, il a affermi la terre sur les eaux », en sous-entendant aussi, « avec intelligence ». « Lui qui a fait seul les grands corps de lumière, le soleil pour présider au jour, la lune et les étoiles pour présider à la nuit » ; encore « avec intelligence », Mais alors pourquoi dire seul, si c’est avec la raison ou l’intelligence, c’est-à-dire dans la sagesse qui est le Verbe unique ? Ne serait-ce point parce que la Trinité, au lieu d’être trois dieux, n’est qu’un seul Dieu, et qu’alors, dire que Dieu a fait seul toutes ces choses, signifierait que Dieu les a faites sans le secours d’aucune créature ?
7. Mais que signifie : « Il a affermi la terre sur les eaux ? » Voilà qui est obscur ; car la terre a plus de poids que l’eau, en sorte que l’on peut croire qu’au lieu d’être portée par les eaux, c’est elle au contraire qui les porte. Mais, sans vouloir minutieusement défendre nos Saintes Écritures contre ceux qui s’imaginent avoir trouvé sur ce point des raisons péremptoires, quoi qu’il en soit, nous avons toujours sous la main ce sens facile à comprendre, que la terre habitée par les hommes, qui contient les animaux terrestres, et que l’Écriture appelle aussi l’aride, ainsi qu’il est écrit : « Que l’aride paraisse, et Dieu appela l’aride du nom de terre[5] », que cette terre est fondée sur les eaux, en ce sens qu’elle domine les eaux qui lui forment une ceinture. Quand on dit, en effet, d’une ville maritime, qu’elle est bâtie sur la mer, on n’entend point dire par là qu’elle est sur la mer comme la voûte d’un pont est au-dessus des eaux, ou comme le vaisseau qui court sur les flots ; mais on dit qu’elle est sur la mer,

  1. Ps. 135,5
  2. Id. 3-7
  3. Id. 8-10
  4. Ps. 103,24
  5. Gen. 1,9-10