Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/167

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avait désiré le jour de l’homme, elle eût renié le Christ ; elle eût vécu plus longtemps ici-bas, mais elle ne vivrait point éternellement. Elle a préféré la vie éternelle à une vie quelque peu prolongée sur la terre. Enfin « votre miséricorde, Seigneur, est pour l’éternité », et je rie veux pas être délivrée pour un temps. « Elle est éternelle, cette miséricorde qui vous a fait délivrer les martyrs, en les retirant promptement de cette vie. « Seigneur, votre miséricorde est éternelle ».
18. « Ne méprisez pas les œuvres de vos mains ». Je ne vous demande point, Seigneur, de ne pas mépriser l’œuvre de mes mains ; ces œuvres ne me donnent point d’orgueil. « Sans doute mes mains ont cherché le Seigneur pendant la nuit et je n’ai pas été trompé[1] » ; et toutefois, je ne vante pas l’œuvre de mes mains ; je crains qu’en les examinant, vous n’y trouviez plus de fautes que d’œuvres méritoires. « Ne méprisez donc pas l’œuvre de vos mains », voyez en moi votre ouvrage et non le mien ; voir le mien, c’est le condamner, le vôtre, c’est le couronner. Tout ce qu’il y a de bien en moi me vient de vous, et dès lors vous appartient plus qu’à moi. J’entends en effet l’Apôtre : « C’est par la grâce que vous êtes sauvés au moyen de la foi ; et cela ne vient pas de vous, c’est un don de Dieu : cela ne vient point de vos œuvres, afin que nul ne se glorifie. Car nous sommes son ouvrage, créés en Jésus-Christ, dans les bonnes œuvres[2] ». Soit donc, ô mon Dieu, que vous nous regardiez comme des hommes, soit que vous nous considériez comme sortis de l’impiété pour devenir des justes, « ne méprisez pas, ô mon Dieu, l’ouvrage de vos mains ».


DISCOURS SUR LE PSAUME 138

SERMON AU PEUPLE.

LES BONS ET LES MÉCHANTS DANS L’ÉGLISE.

Le pain que nous devons manger à la sueur de notre front, c’est le Christ, chef de l’Église tirée de sou cœur comme Eve du côté d’Adam. De là vient que dans notre psaume et dans beaucoup d’autres, c’est le Christ qui parle, tantôt comme chef, tantôt au nom des membres. S’il appelle Dieu Seigneur, c’est dans son humanité. Le Seigneur donc l’a connu quand il s’est assis et quand il s’est levé, c’est-à-dire dans sa passion et dans sa résurrection, ou dans l’homme qui s’abaisse par l’aveu, et s’élève par l’espérance. Dieu voit de loin nos pensées, quand nous sommes éloignés de lui par le péché, comme le prodigue loin de son père ; il voit nos sentiers et le terme de nos égarements, aussi nous afflige-t-il afin de nous rappeler à lui. Nous ne saurions le voir tel qu’il est ; il prenait une forme créée afin de parler à Moïse, qui le vit, mais seulement quand il lut passé, c’est-à-dire en sa passion, comme tes Juifs, qui le virent sans reconnaître qu’il était Dieu. Seulement après qu’ il fut passé, à la Pentecôte, Pierre leur dit ce qu’ils devaient faire. Telle est la science de Dieu qu’il faut qu’il nous donne. En vain nous voulons le fuir, il est dans le ciel où nous nous élevons par la vertu, et dans l’abîme pour nous châtier, si nous y descendons par le péché. Allons aux extrémités de la mer, ou à la fin des siècles, avec les voiles de la charité, et Dieu nous conduira, autrement la fatigue nous ferait tomber dans la mer. Au milieu des scandales de cette vie, qui est la nuit, le Christ sera notre lumière ; nous retomberons dans les ténèbres par le péché, et en tes défendant nos ténèbres s’obscurciront ; le Seigneur les éclaire par le châtiment, et quand nous reconnaissons que ce châtiment vient de Dieu. Job était dans la lumière du monde, ou dans la prospérité ; c’était une lumière dans la nuit, et alors il regarda les ténèbres ou le malheur du même œil que la lumière ou la prospérité, parce que Dieu, sa lumière intérieure, était le maître de ses affections, et l’avait reçu dès le sein de sa mère ou de Babylone qui met sa joie dans les prospérités temporelles, comme la synagogue dégénérée, figuier sans fruit. Pour nous, le mal c’est le péché. La majesté de Dieu est terrible ; il nous a formé un os intérieur ou donné cette force de souffrir, et avec joie, que n’avaient point les Apôtres avant la passion. Nonobstant leur imperfection le Seigneur les maintint dans son livre ; ils s’égarèrent pendant que le Sauveur était avec eux, puis revinrent à lui, s’affermirent, et se multiplièrent. Alors les méchants suscitèrent des schismes en disant à d’autres : Éloignez-vous de moi ; ou plutôt, ils s’éloignèrent de l’Église, sous prétexte qu’il y a des méchants. Mais être avec des méchants, ce n’est point approuver leurs œuvres ; je les hais d’une haine parfaite, réprouvant les œuvres, aimant les hommes, de même que Moïse frappait les coupables et priait pour eux. Que le Seigneur nous éprouve, et nous conduise dans la voie éternelle qui est le Christ.


1. Nous avions préparé un psaume assez court, que nous avions recommandé au lecteur de chanter ; mais, au moment venu, quelque méprise lui a fait prendre l’un pour l’autre. Et toutefois, nous aimons mieux, dans cette méprise du lecteur, suivre la volonté

  1. Ps. 76,3
  2. Eph. 2,8-10