Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/179

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Or, le même Pierre qui l’avait proclamé Fils de Dieu, craignit qu’il ne mourût comme fils de l’homme. Car le Christ était Fils de Dieu et fils de l’homme tout ensemble : Fils de Dieu par cette nature divine qui le rendait égal à Dieu ; fils de l’homme par cette forme de l’esclave[1] qui le rendait inférieur à son Père[2]. Il devait bientôt souffrir dans cette forme de l’esclave. Pourquoi donc Pierre craignait-il que la nature de Dieu ne pérît avec la nature de l’esclave, et n’espérait-il pas au contraire que la nature de l’esclave ressusciterait avec la nature divine ? A « Dieu ne plaise », lui dit-il, « Seigneur, veillez sur nous ». Et le Seigneur, de cette même voix dont il l’avait appelé bienheureux : « Arrière, Satan », lui dit-il, « tu ne comprends pas ce qui est de Dieu, mais ce qui est des hommes[3] ». Parce qu’il avait dit « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant », il entendit cette réponse : « Ni le sang ni la chair ne te l’ont révélé, mais mon Père qui est dans le ciel » ; c’est par là que tu es Pierre, que tu es bienheureux. Maintenant que sa réponse ne venait point de la révélation du Père, mais de la faiblesse de la chair, il est appelé Satan. « Tu ne comprends pas ce qui est de Dieu, mais ce qui est des hommes ». Ainsi dit le Christ, mes frères ; il avait vécu au milieu d’eux, il avait commandé aux vents[4], il avait devant eux marché sur les flots[5], sous leurs yeux encore il avait ressuscité un mort de quatre jours[6], sous leurs yeux il avait opéré de si grandes merveilles, et néanmoins ils furent saisis de crainte au moment de sa passion, comme s’ils eussent perdu celui en qui ils auraient mis une vaine confiance. Mais « c’est pendant le jour qu’ils doivent s’égarer, et personne parmi eux ». Personne, pas même celui qui a dit : « Avec vous jusqu’à la mort ». Le Christ avait dit en effet : « Voici l’heure que vous me laisserez seul, et que chacun ira de son côté. Mais je ne suis point seul, car mon Père est avec moi[7] ». Son Père était avec lui, et il était avec son Père ; comme son Père était en lui, et lui en son Père ; et son Père et lui ne sont qu’un[8] ; et ses disciples craignent à sa mort. Pourquoi, sinon parce qu’ils ont erré pendant le jour, et que nul n’est en eux ? « Ils s’égareront pendant le jour, et nul n’est en eux ».
23. Mais que signifie : « Ils s’égareront pendant le jour ? » Est-ce à dire qu’ils périront ? Que deviendrait alors : « Vos yeux ont vu mon imperfection, et tous seront écrits dans votre livre ? »[9] Quand donc se sont-ils égarés pendant le jour ? Quand ils n’ont pas connu le Sauveur qui était avec eux. Qu’est-il dit ensuite ? « Grande est à mes yeux la gloire de ceux qui vous aiment, ô mon Dieu ». Ceux-là mêmes qui se sont égarés pendant le jour, sans que personne fût en eux, sont devenus vos amis, et jouissent à mes yeux d’une gloire éclatante. Après la résurrection de leur maître, ils ont acquis cet ossement secret, et eux qui avaient tremblé lors de sa passion, eurent la force de mourir pour lui. « Grande est à mes yeux la gloire de ceux qui vous aiment, ô mon Dieu, et leurs principautés sont devenues inébranlables ». Ils sont devenus Apôtres, chefs de l’Église, conduisant les béliers du troupeau : « Et leurs principautés sont affermies d’une manière inébranlable ».
24. « Je les compterai, et ils seront plus nombreux que le sable des mers[10] ». De ces hommes qui ont erré pendant le jour, n’ayant personne avec eux, est née une si grande multitude, que, comme le sable de la mer, elle ne peut être comptée que par Dieu. Le Prophète a dit en effet : « Ils sont plus nombreux que le sable des mers », et néanmoins il venait de dire : « Je les compterai ». Et ceux qui sont comptés seront plus nombreux que le sable des mers ; or, il peut compter le sable de la mer, celui qui a compté les cheveux de notre tête[11]. « Je les compterai, et ils seront plus nombreux que le sable des mers ».
25. « Je me réveille, et je suis encore avec vous ». Qu’est-ce à dire, je me lève, et me voilà encore avec vous ? Voilà que je suis mort, que j’ai été enseveli, et bien que je sois ressuscité, ils ne comprennent pas encore que je sois avec eux. « Je suis encore avec vous », c’est-à-dire, pas encore avec eux, puisqu’ils ne me connaissent point encore. Il est dit en effet dans l’Évangile qu’après la résurrection du Sauveur, les disciples ne le reconnurent point aussitôt quand il leur apparut. On peut encore donner un autre sens. « Je me suis levé et je suis encore avec vous », désignerait

  1. Phil. 2,6-7
  2. Jn. 14,28
  3. Mt. 16,13-23
  4. Id. 8,26
  5. Id. 14,25
  6. Jn. 11,39-44
  7. Jn. 16,32
  8. Id. 10,30-38
  9. Ps. 138,17
  10. Id. 18
  11. Mt. 10,30