Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/181

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me porter à déchirer le filet de l’unité, avant que tous les poissons soient parvenus à la fin des siècles, comme sur le rivage où l’on fait le discernement[1] ? Ces sacrements que je reçois sont-ils des méchants ? Tolérer leur vie et leurs mœurs, est-ce donc communiquer avec eux ? « N’ai-je donc point haï, ô mon Dieu, ceux qui vous haïssaient ? N’ai-je point séché de dépit à la vue de vos ennemis ? » Quand le zèle de votre maison me dévorait[2], n’est-ce point avec dégoût que je voyais les insensés ? Un profond ennui ne s’emparait-il pas de moi, à la vue de ceux qui délaissaient votre loi[3] ? Quels sont, en effet, vos ennemis, sinon les hommes qui témoignent par leur vie qu’ils haïssent vos préceptes ? Et puisque je les hais, pourquoi ceux qui s’emparent en vain de leurs villes s’en viennent-ils me calomnier, et rejeter sur moi les péchés de ceux que je déteste, et au sujet desquels m’enflammait de dépit mon zèle pour la maison de Dieu ? Mais alors, que devient ce précepte « Aimez vos ennemis ? » Sont-ce vos ennemis qu’il faut aimer, et non ceux de Dieu ? « Faites du bien », est-il dit, « à ceux qui vous haïssent[4] ». Il n’est point dit : À ceux qui haïssent Dieu. De là cette parole de l’interlocuteur : « N’ai-je point haï, Seigneur, ceux qui vous haïssaient ? » Il ne dit point : Ceux qui me haïssent. Et encore. « La vue de vos ennemis m’irritait », et non des miens. Mais ceux qui nous haïssent, qui sont nos ennemis, précisément parce que nous servons Dieu, ne haïssent-ils pas le Seigneur, ne sont-ils pas ses ennemis ? De tels ennemis, ne devons-nous donc pas les aimer ? N’est-ce point au nom du Seigneur qu’ils souffrent persécution, ceux à qui il est dit : Priez pour ceux qui vous persécutent ? Écoute ce qui suit.
28. « Je les poursuis d’une haine parfaite ». Que signifie une haine parfaite ? Je haïssais en eux l’iniquité, j’aimais ce que vous y aviez fait. Poursuivre d’une haine parfaite, c’est ne point haïr les hommes à cause de leurs vices, ne point aimer les vices à cause des hommes. Vois, en effet, ce qu’ajoute le Prophète « Ils sont devenus mes ennemis ». Ils ne sont plus ennemis de Dieu seulement, ils sont ses ennemis. Comment donc accomplir à leur égard ce qu’il a dit lui-même : « Je les poursuivais d’une haine parfaite » ; et ce précepte du Seigneur : « Aimez vos ennemis ? » Comment accomplir ces prescriptions, sinon au moyen de cette haine parfaite qui porte à les haïr parce qu’ils sont injustes, à les aimer, parce qu’ils sont hommes ? Dans l’Ancien Testament, quand le peuple charnel était retenu dans le devoir par les châtiments visibles, comment haïssait les pécheurs cet homme qui appartenait par l’esprit au Nouveau Testament, ce Moïse, fidèle serviteur de Dieu, qui priait pour eux, et comment ne les haïssait-il point, lui qui leur donnait la mort, sinon qu’il les haïssait d’une haine parfaite ? Il avait pour l’iniquité qu’il châtiait une haine si parfaite, qu’il aimait en même temps le coupable jusqu’à prier pour lui.
29. Maintenant donc que le corps du Christ gémit pour un temps parmi les pécheurs dont il sera séparé au dernier jour : maintenant que ces pécheurs sans vie, calomniant les bons au sujet de leur mélange avec les méchants, et se séparant eux-mêmes des bons et des innocents, bien plus encore que des méchants, prennent en vain leurs villes, au point qu’il reste néanmoins beaucoup de méchants qui ne les suivent point dans leur schisme, qui demeurent dans cette confusion, pour exercer la patience des bons, que fera dans cet état de choses le corps du Christ, qui produit par la patience[5] trente, soixante, et jusqu’à cent pour un ? Que fait cette Épouse du Christ au milieu des filles, comme le lis au milieu des épines ? Que dit-elle ? Quelle est sa pensée ? Quelle est la beauté intérieure de cette fille du roi[6] ? Écoute sa prière : « Eprouvez-moi, ô Dieu, et connaissez mon cœur[7] ». Éprouvez vous-même, ô mon Dieu, et connaissez ; que ce ne soit point l’homme, ni l’hérétique : ils ne sauraient m’éprouver, ni connaître mon cœur où pénètrent vos regards, ce qui vous montre que je ne donne aucun assentiment aux actes des pécheurs, tandis qu’ils s’imaginent que les péchés des autres peuvent me souiller. Voyez encore lorsque, dans mon exil si lointain, je gémis avec le Prophète dans un autre psaume, c’est-à-dire que je garde la paix avec ceux qui la haïssent[8], jusqu’à ce que je parvienne à la vision de la paix, ou à cette Jérusalem qui est notre mère, l’éternelle cité des cieux, les voilà

  1. Id. 13,47
  2. Ps. 68,10
  3. Id. 118,53
  4. Mt. 5,44
  5. Mt. 13,23 ; Lc. 8,15
  6. Ps. 44,14
  7. Id. 138,23
  8. Id. 119,7