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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/20

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mais, pour en arriver là, ils sont tombés où le pied de l’orgueil les a heurtés. Il a donc raison celui qui écoute afin de monter et de ne point tomber, afin de s’élever de cette vallée de larmes, sans tomber par orgueil ; il a raison de dire à Dieu : « Ne permettez point que mon pied soit ébranlé », et Dieu lui répond : « Que ton gardien ne s’endorme pas ». Écoutez bien, mes frères. On joint ensemble ici deux interlocuteurs. L’homme qui s’élève, en chantant ce cantique, dit à Dieu : « Ne permettez point que mon pied soit ébranlé » ; et Dieu parait lui répondre : Tu me dis : « Ne permettez point que mon pied soit ébranlé », ajoute alors : « Et que ton gardien ne s’endorme pas », ton pied alors ne sera point ébranlé.
6. Peut-être va-t-il répondre : Est-il en mon pouvoir que mon gardien ne s’endorme pas ? Je voudrais qu’il ne s’endormît point, qu’il ne sommeillât point. Choisis donc pour te garder celui qui ne dort, qui ne sommeille point, et ton pied ne sera point ébranlé. Or, Dieu ne dort jamais ; choisis donc le Seigneur pour ton gardien, si tu veux avoir un gardien vigilant. « Ne permettez point que mon pied « soit ébranlé », dis-tu : c’est bien ; c’est très bien. Mais Dieu te répond : « Et que ton gardien ne s’endorme pas ». Tu allais chercher parmi les hommes un gardien, et dire : Qui trouverai-je pour ne point dormir ? Quel homme ne s’endort point ? Qui trouver ? Où aller ? Où me tourner ? Voilà que le Seigneur vient à ton aide : « Voilà qu’il ne dormira point, qu’il ne sommeillera point, celui qui garde Israël[1] ». Car c’est le Christ qui garde Israël. Sois donc Israël, toi-même, Qu’est-ce à dire Israël ? Israël signifie voyant Dieu. Et comment voit-on Dieu ? D’abord par la foi, ensuite face à face. Si tu ne peux le voir face à face, vois-le du moins par la foi. Si tu ne peux le voir face à face, parce qu’en cela consiste la claire vue, vois du moins ses gloires postérieures. C’est ce que le Seigneur dit à Moïse : « Tu ne saurais voir ma face, mais quand je serai passé, tu me verras par-derrière[2] ». Tu attends qu’il passe : il est déjà passé ; suis-le de vue par-derrière ; où est-il passé ? Écoute saint Jean : « Quand vint l’heure », nous dit-il, « où il devait passer de ce monde à son Père[3] ». Déjà Notre-Seigneur Jésus-Christ a fait la Pâque, et Pâque signifie passage, car c’est un mot hébreu, et non, comme l’ont cru plusieurs, un mot grec, ayant le sens de souffrances. D’autres, plus exacts et plus savants, ont trouvé que Pâque est un mot hébreu ayant le sens de passage, et non de douleur. C’est par les souffrances que Jésus-Christ a passé de la mort à la vie, nous traçant ainsi la voie, à nous qui croyons en sa résurrection, afin que nous passions de la mort à la vie. C’est peu de croire que le Christ est mort : les païens, les Juifs, les impies le croient aussi. Tous croient qu’il est mort ; la foi chrétienne consiste à croire en sa résurrection ; croire qu’il est ressuscité, c’est donc l’important pour nous. Il a donc voulu être vu dans son passage, ou dans sa résurrection, et il a voulu que l’on crût en lui quand il passait, parce qu’il a été livré pour nos péchés, et qu’il est ressuscité pour notre justification[4]. Telle est la foi en la résurrection du Christ, vivement recommandée par l’Apôtre : « Vous serez sauvés », dit-il, « si vous croyez de tout votre cœur que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts[5] ». Il ne dit point : Si tu crois que le Christ est mort, ce que croient les païens, les Juifs et tous ses ennemis ; mais bien : « Si tu crois de tout ton cœur que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, tu seras sauvé ». Croire ainsi, c’est être Israël, c’est voir Dieu ; et bien que tu le voies seulement par-derrière, la foi en ses gloires postérieures te conduira à la claire vue. Qu’est-ce à dire ? C’est-à-dire quand tu croiras en ce que Jésus-Christ s’est fait pour toi, dans la suite des temps, quand tu croiras en ce qu’il a pris de toi postérieurement. Car au commencement quelle est sa face ? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Qu’est-il postérieurement ? « Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous »[6]. Croire donc en ce que le Verbe s’est fait pour toi, en la résurrection de sa chair, afin de ne point désespérer de la tienne, c’est devenir Israël. Mais une fois que tu seras Israël, ton gardien ne dormira point, ne sommeillera point. Car tu es Israël, et tu as entendu le Psalmiste : « Voilà que le gardien d’Israël ne dormira point, ne sommeillera point ». Le Christ lui-même a dormi, mais il est ressuscité. Que dit-il à son tour dans un psaume ? « J’ai dormi, j’ai pris mon sommeil ». Est-il demeuré

  1. Ps. 120,4
  2. Exod. 33,20-23
  3. Jn. 13,1
  4. Rom. 4,25
  5. Id. 10,9
  6. Jn. 1,14