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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/22

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choses vaines, et que leur droite est la droite de l’iniquité ». Donc, il en trouve, et il les en blâme, qui prennent leur véritable droite pour la gauche, et leur véritable gauche pour leur droite, et il nous montre ensuite quels sont ces hommes. Quiconque ne voit pour l’homme de félicité que dans les seuls biens et les plaisirs du temps, dans l’abondance et les richesses de ce monde, celui-là est un insensé, un pervers, il prend sa gauche pour sa droite. Tels étaient ceux dont le psaume nous dit, non point qu’ils n’avaient pas reçu de Dieu les biens qu’ils possédaient, mais qu’ils ne faisaient consister qu’en ces jouissances la vie bienheureuse, et ne recherchaient rien autre chose. Écoutez, en effet, ce qu’il dit ensuite à leur sujet : « Leur bouche a dit des choses vaines, et leur droite est la droite de l’iniquité ». Et ensuite : « Leurs enfants sont comme de jeunes arbres, leurs filles sont ornées comme l’idole d’un temple, leurs « celliers sont remplis et regorgent deçà et delà, leurs brebis sont fécondes et s’en vont en foule de leurs étables ; leurs bœufs sont gras, on ne voit dans les clôtures ni passage ni ruine, et nul cri ne s’élève de leurs places publiques[1] ». Telle est la grande félicité de quelques-uns. Toutefois cette félicité pourrait échoir à un juste, comme elle échut à Job ; mais Job la regardait comme sa gauche, et non comme sa droite ; car il ne comptait pour sa droite que le bonheur continuel et sans fin qu’il se promettait en Dieu. C’est pourquoi Dieu permit qu’on le frappât sur la gauche, et sa droite lui suffit. Comment la gauche fut-elle frappée ? Par les tentations du démon. Le démon lui enleva soudainement ses biens, lui à qui Dieu permet d’agir, pour éprouver le juste et châtier l’impie, enleva tout à Job ; mais Job savait que la gauche était la gauche, et qu’il n’y a que la droite qui soit la droite ; avec quelle force admirable il s’attacha à la droite ! Il tressaillit dans le Seigneur, il se consola de ses pertes, parce qu’il ne laissa point entamer ses trésors intérieurs ; son cœur était plein de Dieu. « Le Seigneur l’a donné », dit-il, « le Seigneur l’a ôté ; ainsi qu’il a plu au Seigneur, il a e été fait : que le nom du Seigneur soit béni[2] ». Telle était sa droite, le Seigneur lui-même, la vie éternelle même, la possession de l’ineffable lumière, la source de la vie, la lumière dans la lumière. « Ils seront enivrés de l’abondance de votre maison[3] ». C’était là sa droite. Quant à sa gauche elle n’était qu’un secours de consolation, et non un affermissement dans la félicité. Car Dieu était pour lui le bonheur véritable et souverain. Ainsi, quand David a dit de ces hommes que « leur bouche s’épanche en vanités, que leur droite est la droite de l’injustice[4] », il ne leur fait pas un crime de posséder tous ces biens, mais de ce que leur bouche se répand en paroles vaines. En effet, que voyons-nous ensuite ? Après avoir énuméré toutes leurs richesses, il s’écrie : « Ils ont appelé heureux le peuple qui possède ces biens[5] ». Telle est la vanité qu’a proférée leur bouche, c’est d’avoir proclamé heureux le peuple qui a de tels biens. Mais que direz-vous, ô Prophète, qui savez discerner quelle est votre gauche et quelle est votre droite ? Il continue en disant : « Bienheureux le peuple qui a le Seigneur pour son Dieu[6] ».
9. Que votre charité soit donc attentive. Nous avons vu ce qu’est la gauche et vu encore ce qu’est la droite. Écoutez dans les cantiques la confirmation de nos paroles : « Sa gauche est sous ma tête », nous dit l’Épouse en nous parlant de l’Époux, l’Église en parlant du Christ dans l’embrassement d’une ineffable charité. Que dit-elle donc ? « Sa gauche est sous ma tête », et il m’embrasse de sa droite[7]. D’où vient que l’Époux, afin d’embrasser l’Épouse, mettait sa gauche sous sa tête et sa droite au-dessus ; sa gauche pour la consoler et sa droite pour la protéger ? « Sa gauche est sous ma tête », nous dit-elle. Cette gauche vient de Dieu, bien qu’elle soit appelée gauche, parce que c’est lui qui donne tous les biens temporels. Combien sont vains, sont impies ceux qui demandent ces biens aux idoles, aux démons ! Combien en est-il qui les demandent aux démons sans les obtenir ; combien d’autres qui les obtiennent sans les demander aux démons, car les démons ne les donnent point. De même beaucoup les demandent au Seigneur et ne les obtiennent point. Dieu qui nous appelle à la droite sait aussi régler la gauche. Si donc elle est la gauche, qu’elle soit la gauche, mais sous notre tête, et que la tête s’élève au-dessus d’elle, ou plutôt notre foi dans laquelle habite le Christ. Loin de toi de préférer à ta

  1. Ps. 143,11-15
  2. Job. 1,21
  3. Ps. 33,9
  4. Id. 143,8
  5. Id. 5
  6. Id.
  7. Cant. 2,6