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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/231

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quant à cette vie, « le corps est mort à cause du péché », et de là vient que le péché subsiste dans notre corps sans toutefois y régner : « Mais l’esprit est vivant à cause de la justice. Si donc l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus-Christ habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ rendra aussi la vie à vos corps mortels, à cause de son Esprit qui habite en vous[1] ». C’est là qu’il n’y aura plus de combat, plus même de vibration ; tout sera dans une paix profonde. Ce n’est point une nature contraire qui combattra une autre nature, mais c’est comme deux Époux sous un même toit. Qu’ils viennent à se quereller, c’est un séjour fatigant et plein de périls ; que le mari ait le dessous, la femme l’avantage, c’est une paix contre tout ordre ; que le mari domine au contraire, que la femme lui soit soumise, la paix est dans l’ordre ; et toutefois ce ne sont point deux natures différentes, puisque la femme a été tirée de l’homme. Ta chair est pour toi une Épouse, une servante ; donne-lui tel nom qu’il te plaira, il te faut la soumettre ; et s’il y a combat, que la victoire te reste. Tel est l’ordre, en effet, que l’inférieur soit soumis au supérieur ; afin que celui-là même qui veut s’assujettir ce qui lui est inférieur soit soumis à son tour à celui qui est au-dessus de lui. Reconnais donc l’ordre et cherche la paix toi à Dieu, et la chair à toi. Y a-t-il rien de plus juste, rien de plus beau ? Toi soumis au supérieur, l’inférieur à toi. Sois serviteur, de celui qui t’a créé, afin d’avoir pour serviteur ce qui a été créé pour toi. L’ordre que nous traçons et que nous prêchons n’est point : À toi la chair, et toi à Dieu ; mais bien : Toi à Dieu, et la chair à toi ; si tu dédaignes « toi à Dieu », tu n’obtiendras jamais la chair à toi. Rebelle envers ton Seigneur, tu seras sous l’esclave de l’esclave. Si tu n’es d’abord soumis à Dieu, et ensuite la chair soumise à toi-même, pourras-tu dire ces paroles : « Béni soit le Seigneur mon Dieu, qui dresse mes mains au combat et mes doigts à la guerre ? » Tu veux combattre sans savoir, tu seras vaincu et condamné. Soumets-toi donc à Dieu tout d’abord, puis avec ses leçons et son secours tu combattras en disant : « C’est lui qui dresse mes mains au combat, mes doigts à la guerre ».

7. Et pendant ce combat, comme il n’est pas sans danger, dis alors ce qui suit dans cette lutte périlleuse : « Vous êtes ma miséricorde[2] » Je ne serai pas vaincu dès lors. Que veut dire « ma miséricorde ? » Que vous me faites miséricorde, que vous l’exercez envers moi, ou bien que vous m’accordez d’user de miséricorde ? Car il n’y a rien pour vaincre plus complètement notre ennemi que la miséricorde que nous avons pour tous. Il se prépare à nous calomnier au jugement de Dieu, mais il ne peut rien objecter de faux, il n’est point devant celui qui écoute la fausseté. S’il plaidait contre nous au tribunal d’un homme, il pourrait alléguer le mensonge, nous accabler de fausses récriminations ; mais comme notre procès se plaide au tribunal de ce juge que l’on ne saurait tromper, notre ennemi cherche à nous séduire par le péché, pour avoir de véritables crimes à nous reprocher. Et quand la fragilité humaine vient à succomber sous ses artifices, qu’elle s’humilie par un aveu, et s’exerce par des œuvres de miséricorde et de piété. Tout s’efface quand, avec sincérité et une pleine confiance, nous disons à celui qui nous voit : « Remettez-nous, comme nous remettons à notre tour[3] ». Dis alors de tout ton cœur, dis en toute confiance et en toute sécurité : « Remettez-nous, comme nous remettons nous-mêmes » ; ou ne nous pardonnez point, si nous ne savons pardonner. Quand même tu ne dirais pas : Ne nous remettez point si nous ne remettons point nous-mêmes, le Seigneur ne nous pardonne qu’à la condition que nous pardonnions aussi. Pour te laisser impuni dans tes crimes, il ne sera point menteur dans ses promesses. Veux-tu ton pardon, dit-il ? Pardonne toi-même. Il est une autre œuvre de miséricorde, veux-tu obtenir ? donne toi-même. C’est ce qui est marqué au même endroit de l’Évangile : « Remettez et il vous sera remis, donnez et l’on vous donnera[4] ». J’ai sur toi une créance, et toi une créance sur un autre ; remets-lui sa dette, et je te remets la tienne. Tu me demandes, celui-là te demande aussi. Donne-lui, et je te donnerai. Or, qui est-ce qui remet ? Qui est-ce qui donne ? N’est-ce pas la charité ? « Et d’où vient la charité, sinon par cet Esprit-Saint qui nous a été donné[5] ? » Si donc c’est par les œuvres de miséricorde que notre ennemi peut être vaincu, si nous ne pouvons faire des œuvres de miséricorde

  1. Rom. 8,10 ss
  2. Psa. 143,2
  3. Mat. 6,12
  4. Luc. 6,37-38
  5. Rom. 5,5