Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/272

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hommes ». C’est là le produit de la pluie. « Il fait croître le foin sur les montagnes ». Ne croît-il pas aussi dans les vallées ? Mais ce qui est plus à remarquer, c’est sur les montages. Le Prophète appelle montagnes les grands du monde ; il te faut donc entendre par ces montagnes ceux qui sont élevés en dignité. Et il n’y a ici rien d’étonnant. Une veuve déposa dans le trésor deux pièces de monnaie[1] ; c’est la terre basse, la terre humble qui produit du fruit ; mais une montagne en produisit aussi, ce fut Zachée, le chef des publicains[2]. C’est ce qui était plus admirable, qu’une montagne produisît du foin. Plus les hommes sont élevés en dignité, plus leur avarice est grande, et plus ils sont grands en ce monde, plus ils aiment les richesses. De là vient qu’il s’en alla triste, ce jeune homme qui demandait à Jésus-Christ ce qu’il devait faire pour gagner la vie éternelle, en l’appelant bon Maître, et en disant : « Pour avoir la vie éternelle, que ferai-je ? » Et le Sauveur : « Observe les commandements ». « Quels commandements ? » Et le Sauveur : Les commandements de la loi. « Je les ai observés dès ma jeunesse. Il te manque un point cependant : veux-tu être parfait ? Va, vends tout ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel ; puis viens et suis-moi ». Que dit ainsi le Sauveur ? Tu es une montagne, reçois la pluie, et produis du foin. Que pourrais-tu produire, sinon du foin ? Qu’est-ce, en effet, que du foin, que tous ces dons que font les riches aux Églises, pour subvenir aux besoins de ceux qui servent Dieu ? Tout cela est charnel et n’apparaît que pour un temps ; mais la récompense que l’on gagne ainsi n’est point charnelle. Vois en effet ce que tu peux acheter au prix de biens si méprisables. L’Apôtre nous l’indique en nous montrant que tout cela n’est que du foin : « Si nous avons semé parmi vous les biens spirituels, est-ce une grande chose « que nous récoltions quelque peu de vos biens temporels[3] ? » Or, comprends que les biens charnels ne sont que du foin. « Toute chair n’est que du foin, et toute sa gloire tombera comme la fleur du foin[4] ». Ce jeune homme donc s’en alla triste, et le Sauveur de s’écrier : « Combien difficilement un riche entrera dans le royaume des cieux ! » Ce qui est donc admirable, c’est que Dieu fasse croître le foin sur les montagnes. Et comment le fait-il croître, si ce riche s’en va triste, dès qu’il entend qu’il doit donner son bien aux pauvres ? Que répond le Sauveur aux Apôtres contristés ? « Ce qui est difficile pour l’homme est facile à Dieu[5] ». C’est donc celui à qui tout est facile qui fait croître le foin sur les montagnes. Rien n’est plus stérile, en effet, que les roches des montagnes. Mais Dieu les arrose, lui qui « fait croître le foin sur les montagnes, et l’herbe pour les hommes tenus à la servitude ». Quelle servitude ? Écoutez saint Paul. « Nous sommes », dit-il, « vos serviteurs à cause de Jésus-Christ[6] ». Voilà qu’il s’appelle serviteur, celui qui disait : « Est-ce une grande chose, qu’après avoir semé parmi vous les biens spirituels, nous récoltions quelque peu de vos biens charnels ? » Nous sommes en effet des serviteurs pour vous, mes frères. Que nul d’entre nous ne se dise plus grand que vous. Nous serons plus grands si nous sommes plus humbles. « Quiconque d’entre vous veut être le plus grand, sera votre serviteur[7] », c’est la sentence du divin Maître. Donc, « il fait croître le foin sur les montagnes, et l’herbe pour les hommes de service ». L’apôtre saint Paul vivait du travail de ses mains, préférant l’indigence au foin des montagnes ; et toutefois les montagnes produisaient du foin. Mais parce qu’il n’en voulait point recevoir, les montagnes devaient-elles n’en point donner et demeurer stériles ? Le fruit est dû après la pluie ; on doit la nourriture au serviteur, comme l’a dit le divin Maître : « Mangez de ce qui est à eux ». Et de peur que ceux-ci ne crussent donner du leur : « Tout ouvrier », ajoute le Sauveur, « est digne de sa récompense »[8].
17. C’est pourquoi, mes frères, de même que déjà nous avons saisi l’occasion de vous parler à ce sujet, nous vous en parlons encore aujourd’hui, et d’autant plus librement, que nous ne vous demandons rien de ce genre. Et si nous vous demandions, nous chercherions en cela plutôt votre avantage, plutôt votre sanctification que vos richesses. Toutefois, encore un mot, mais bien court, j’ai déjà été bien long, et il est temps de finir.

  1. Mc. 12,42
  2. Lc. 19,2-8
  3. 1 Cor. 9,11
  4. Isa. 40,6
  5. Mt. XLX, 16-26
  6. 2 Cor. 4,5
  7. Mt. 11,26
  8. Lc. 10,7-8