Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/435

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diminue », c’est-à-dire : c’est à lui de donner et à moi de recevoir, à lui la gloire, et à moi l’humiliation de l’aveu. Que l’homme reconnaisse où est sa place, qu’il avoue à Dieu sa faute, qu’il écoute l’Apôtre. Il dit à l’homme orgueilleux et superbe, à l’homme qui veut s’élever plus haut qu’il ne lui appartient : « Qu’as-tu, que tu ne l’aies reçu ? Si tu l’as reçu, pourquoi t’en glorifier comme si tu ne l’avais pas reçu[1] ? » Que l’homme qui voulait dire sien ce qui n’est pas à lui, comprenne qu’il l’a reçu, et que par là il diminue ; car il est avantageux pour lui que Dieu soit glorifié en lui. Qu’il diminue en lui-même pour grandir en Dieu. Ces témoignages et cette vérité, Jésus-Christ et Jean en ont tracé le caractère par la nature même de leur mort. Jean a été diminué de la tête, Jésus a exalté sur la croix, et tous deux ont ainsi indiqué le sens de cette parole : « Il faut qu’il grandisse et que je diminue ». De plus, quand Jésus-Christ est né, les jours commençaient à croître, et la naissance de Jean a coïncidé avec la diminution des jours : et leur naissance et leur mort, par conséquent, ont rendu témoignage à ces paroles de Jean : « Il faut qu’il grandisse et que je diminue ». Que la gloire de Dieu grandisse donc en nous, que la nôtre diminue, afin qu’à son tour celle-ci trouve en Dieu sa grandeur. Car l’Apôtre et l’Écriture sainte s’accordent pour nous dire : « Que celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur[2] ». Veux-tu te glorifier en toi-même ? Sans doute tu veux grandir, mais tu grandis mal, et pour ton malheur. Celui qui grandit mal diminue à juste titre. Que l’on voie donc croître en toi le Dieu qui est toujours parfait, qu’on le voie croître en toi. Mieux tu comprends Dieu, mieux tu en saisis les perfections, plus il semble grandir en toi ; mais en lui-même, comme il est toujours parfait, il ne saurait grandir. Hier, tu avais quelque intelligence de Dieu, aujourd’hui cette intelligence est plus grande, demain elle sera plus grande encore ; c’est la lumière de Dieu qui grandit en toi, et, en une certaine manière, c’est Dieu lui-même, quoique toute sa perfection lui demeure toujours. Ainsi, quand un homme depuis longtemps aveugle vient à guérir, il commence à voir quelque peu la lumière ; le lendemain il en voit davantage ; le troisième jour encore plus ; il semble que la lumière grandisse pour lui. Cependant elle demeure toujours ce qu’elle est, qu’on l’aperçoive ou qu’on ne l’aperçoive pas. Un phénomène pareil a lieu dans l’homme intérieur. Il grandit en Dieu et Dieu paraît grandir en lui, à la condition pourtant qu’il diminue, et que de sa propre gloire, il se relève dans la gloire de Dieu.
6. Déjà donc s’éclaircit et se manifeste dans le sens caché des paroles que nous venons d’entendre : « Celui qui est venu d’en haut est au-dessus de tous ». Vois ce que Jean dit de Jésus-Christ. De lui-même, que dit-il ? « Celui qui est sorti de la terre est de la terre et parle de la terre. Celui qui vient d’en haut est au-dessus de tous ». Voilà Jésus-Christ. « Celui qui vient de la terre est de la terre et parle de la terre ». Voilà Jean. Jean vient de la terre et parle de la terre ; est-ce là tout ? Ce témoignage qu’il rend de Jésus-Christ vient-il tout entier de la terre ? La voix de Dieu ne se fait-elle pas entendre à Jean, lorsqu’il rend témoignage du Christ ? En quel sens parle-t-il donc de la terre ? En ce sens qu’il parle de l’humanité du Sauveur. Comme hommes, nous sommes de la terre et nous parlons de la terre ; s’il nous arrive de parler de choses divines, c’est que Dieu nous éclaire. Sans cette lumière, nous serions terre et nous parlerions de la terre. Autre est donc la grâce de Dieu, autre la nature de l’homme ; cherche ce qu’est l’homme, considère-le dans sa nature. Il naît, il grandit, il apprend ce qui se passe d’ordinaire parmi les hommes. Qu’apprend-il, sinon à avoir de la terre des idées terrestres ? Ses paroles, ses connaissances, ses appréciations sont tout humaines. Il est chair, et ses idées et sa science tiennent de la chair. Voilà l’homme. Vienne la grâce de Dieu, qu’elle dissipe ses ténèbres, comme dit le Prophète : « Seigneur, vous ferez luire ma lampe ; mon Dieu, vous éclairerez mes ténèbres [3]. Qu’elle élève l’âme humaine, pour l’approcher de ses rayons ; et alors l’homme commence à dire avec l’Apôtre : « Ce n’est pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi[4] » ; et encore : « Je vis, ou plutôt ce n’est pas moi qui vis, mais c’est Jésus-Christ qui vit en moi[5] » ou, en d’autres termes : « Il faut qu’il grandisse et moi que je diminue ». Ainsi Jean, en tant que Jean, est terre et parle de terre ; et

  1. 1 Cor. 4, 5
  2. 1 Cor. 1, 31 ; Jérém. 9, 23-24
  3. Ps. 17, 29
  4. 1 Cor. 15, 10
  5. Gal. 2, 20