Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/445

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

17. Ce que promettait donc Notre-Seigneur, c’était la plénitude et la satiété dont le Saint-Esprit est l’auteur. La Samaritaine ne le comprenait pas encore, et dans son intelligence que répondait-elle ? « Cette femme lui dit : « Seigneur, donnez-moi de cette eau, afin que je n’aie plus soif et que je ne vienne plus ici pour en tirer ». Travail pénible auquel la contraignaient ses besoins et qui rebutait sa faiblesse. Si seulement elle entendait ces paroles : « Venez à moi, vous tous qui travaillez et qui êtes chargés, et je vous soulagerai[1] ! » Car ce que lui promettait Jésus, c’était la délivrance de sa peine ; mais elle ne le comprenait pas encore.

18. Aussi, pour lui donner l’intelligence, « Jésus lui dit : Va, appelle ton mari, viens ici ». Qu’est-ce à dire : « Appelle ton mari ? » Voulait-il lui donner de cette eau par l’entremise de son mari ? Ou bien voulait-il, par l’intermédiaire de celui-ci, lui enseigner ce qu’elle ne comprenait pas encore ? Peut-être parlait-il dans le même sens que l’Apôtre, lorsqu’il dit des femmes : « Si elles veulent apprendre quelque chose, qu’elles interrogent leurs maris dans leurs maisons ? » Mais Paul fait aux femmes cette recommandation : « Qu’elles interrogent leurs maris dans leurs maisons », pour le cas où Jésus n’est pas là afin de les instruire lui-même ; d’ailleurs l’Apôtre s’adressait aux femmes à qui il défendait de parler dans l’Église[2]. Mais le Seigneur était là, et il parlait directement à la Samaritaine : y avait-il dès lors nécessité de se servir de son mari pour l’instruire ? Était-ce par l’intermédiaire de son mari qu’il parlait à Madeleine, au moment où celle-ci, assise à ses pieds, l’écoutait attentivement, et où Marthe, tout entière à la multitude des soins de son ministère hospitalier, murmurait cependant de la félicité de sa sœur[3] ? Donc, mes frères, prêtons l’oreille et tâchons de comprendre ce que Notre-Seigneur dit à cette femme : « Appelle ton mari ». Ce mari de notre âme, cherchons à le connaître. Pourquoi Jésus ne serait-il pas le véritable époux de notre âme ? Puissiez-vous me bien comprendre ! car ce que j’ai à dire ne peut être compris, même par les personnes attentives, que dans une faible mesure. Puissiez-vous me comprendre et l’intelligence de mes paroles sera peut-être l’époux de vos âmes.

19. Voyant que cette femme ne le comprenait pas, et voulant lui faire saisir sa pensée, Jésus lui dit : « Appelle ton mari ». Tu ne comprends pas encore ce que je dis, parce que ton intelligence n’est pas encore ouverte ; je parle selon l’esprit et tu m’entends selon la chair. Ce que je dis ne flatte ni les oreilles, ni les yeux, ni l’odorat, ni le goût, ni le sens du toucher ; l’esprit seul le saisit, l’entendement seul peut en faire sa propriété. Or, cet entendement tu ne l’as pas encore ; comment donc pourrais-tu comprendre mes paroles ? « Appelle ton mari » ; amène ici ton entendement. Car à quoi te servirait d’avoir seulement une âme ? Il n’y aurait là rien de merveilleux, car les bêtes en ont aussi une. D’où vient ta prééminence sur elles ? De l’entendement que tu as et qu’elles n’ont pas. Quel est donc le sens de ces paroles : « Appelle ton mari ? » Tu ne m’entends pas, tu ne me comprends pas ; je te parle du don de Dieu, tu penses à ton corps ; tu ne veux plus que ton corps ait soif, je m’adresse à l’esprit : ton entendement n’y est pas, « appelle ton mari ». Ne sois pas comme le cheval et le mulet, qui n’ont point d’intelligence [4]. Donc, mes frères, avoir une âme et n’avoir point d’entendement, ou en d’autres termes l’avoir inutilement et n’en pas faire la règle de notre vie, c’est mener une vie de bête. Car il y a en nous quelque chose qui tient de la bête, et fait vivre notre corps ; ce quelque chose, l’entendement doit le régir. Ainsi l’esprit doit imprimer une direction plus noble aux mouvements de l’âme quand elle se laisse influencer par le corps et qu’elle désire se précipiter sans mesure dans les plaisirs de la chair. Qui est-ce qui doit être appelé le mari ? Celui qui se laisse conduire ou celui qui dirige ? Évidemment, dans toute vie bien réglée, le guide de l’âme, c’est l’entendement qui fait partie de l’âme. Car il n’est pas différent d’elle-même, il en est une partie ; comme l’œil n’est pas chose différente du corps, mais en est une portion. Cependant, bien qu’il soit une portion du corps, l’œil seul jouit de la lumière ; les autres membres peuvent en recevoir les rayons mais ils sont incapables de les percevoir, l’œil seul en est pénétré et en jouit. Ainsi dans notre âme il est une faculté qui s’appelle entendement, Cette faculté appelée esprit, intelligence, reçoit les rayons d’une

  1. Mat. 11, 28
  2. 1Co. 14, 35.34
  3. Luc. 10, 39-40
  4. Ps. 21, 9