Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/468

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pour les anges, posséder les biens éternels la vie des hommes tient de celle des anges et de celle des bêtes. Si l’homme vit selon ses appétits charnels, il descend au niveau des brutes ; si nous vivons selon l’esprit, nous entrons en société avec les esprits bienheureux. Supposons que tu vives de la vie angélique ; il te reste à savoir si elle se trouve en toi à l’état de vie enfantine, ou si elle y est parvenue à son entier développement. Si tu n’es encore qu’un enfant, les anges te disent : Grandis, le pain est notre aliment pour toi, nourris-toi de lait, du lait de la foi ; et ainsi tu mériteras de te nourrir de la claire vue. Mais quand on ne soupire qu’après de sales voluptés, quand on occupe encore son esprit des moyens de frauder, que toujours on profère le mensonge et qu’au mensonge on joint le parjure, avec un cœur si corrompu a-t-on bien le droit de me dire Explique-moi comment voit le Verbe ? Fussé-je capable d’élucider cette question, parce que je la saisirais parfaitement moi-même, aurait-on le droit de me l’adresser ? Mais, je l’avoue, si je suis étranger à la manière de vivre de pareils interrogateurs, je suis loin aussi de comprendre le mystère dont il s’agit. Que peut-il en être, par conséquent, de celui qui n’éprouve encore aucun désir des choses célestes, et que toutes ses pensées appesantissent et font ramper sur la terre ? Entre l’homme qui déteste une chose, et l’homme qui la désire, se trouve une énorme distance ; de même en est-il entre celui qui la désire et celui qui en jouit. Vis-tu à la manière des bêtes ? tu détestes ; pour les anges, ils jouissent : mais toi, si tu ne mènes pas une vie animale et charnelle, tu n’en es déjà plus à détester : tu désires quelque chose, sans le posséder encore ; mais, par tes désirs, tu as commencé à vivre de la vie des anges puisse-t-elle croître et se perfectionner en toi ; c’est ainsi que tu saisiras la difficulté proposée, et celui qui t’aidera à le faire, ce sera non pas moi, mais le Dieu qui nous a créés tous les deux.
8. Remarque-le bien : le Sauveur ne nous a pas, à cet égard, entièrement abandonnés à notre propre sens. Par ces paroles, en effet : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même que ce qu’il voit faire à son Père », Jésus n’a pas voulu nous faire comprendre que le Père fait des œuvres destinées à être vues par le Fils, et à devenir le modèle d’autres œuvres toutes différentes qu’il accomplirait ensuite lui-même ; mais il a voulu nous dire que le Père et le Fils font les mêmes œuvres. En voici la preuve, car il ajoute aussitôt : « Quelque chose que celui-ci fasse, le Fils aussi le fait comme lui ». Le Fils n’attend pas que le Père ait fini d’agir pour faire des œuvres pareilles, mais « quelque chose que celui-ci fasse, le Fils aussi le fait comme lui ». Puisque le Fils fait ce que fait le Père, le Père agit par le Fils, et puisque le Père fait par le Fils ce qu’il fait, les œuvres du Père et celles du Fils ne sont donc point distinctes les unes des autres : ces œuvres sont exactement et matériellement les mêmes. Mais comment le Fils fait-il les mêmes œuvres que le Père ? « Il les « fait comme lui ». Impossible de supposer qu’il les fasse différemment ; car, dit-il, « il les a faits aussi comme lui ». Comment pourrait-il les faire, saris les faire comme lui ? Prenez un exemple : la comparaison ne vous sera pas difficile à saisir. Lorsque nous écrivons des – lettres, elles se forment d’abord dans notre esprit, pour être ensuite tracées par notre main. Pourquoi avez-vous fait entendre un cri unanime ? Évidemment, c’est parce que vous m’avez compris. Ce que j’ai dit ne peut soulever le moindre doute : c’est chose parfaitement claire pour chacun de nous. Les lettres se forment donc d’abord dans notre esprit, puis notre corps les trace à son tour : l’esprit commande, ta main obéit, et tous deux concourent également à faire les mêmes lettres. L’esprit forme-t-il celles-ci, tandis que la main exécute celles-là ? Non. La main trace des lettres, qui sont identiquement les mêmes que les lettres formées par l’esprit, mais, pour cela, elle n’agit pas de la même manière ; l’esprit se borne à les former dans son entendement, et la main les exécute de manière à les rendre visibles. Voilà comme des choses semblables se font d’une manière différente : c’est pourquoi le Sauveur ne s’est point contenté de dire : « Tout ce que fait le Père, le « Fils aussi le fait » ; il a donc ajouté : « Comme lui ». Peut-être aurais-tu supposé que le Fils accomplit des œuvres pareilles à celles du Père, de la même manière que la main exécute les choses qu’exécute l’esprit, c’est-à-dire d’une façon toute différente ? Mais Jésus ajoute : « Le Fils aussi les fait comme lui ». Puisque le Fils fait les mêmes