Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/540

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

17. « Car ma chair est vraiment une nourriture, et mon sang est véritablement un breuvage ». Les hommes ne prennent de nourriture et de breuvage que pour apaiser leur faim et étancher leur soif ; mais un pareil effet n’est véritablement produit que par cet aliment et ce breuvage où trouvent l’immortalité et l’incorruptibilité ceux qui le reçoivent ; il ne peut avoir vraiment lieu que dans la société même des saints, où régneront une paix entière et une parfaite union. C’est pourquoi, suivant l’idée qu’en ont eue déjà avant nous les hommes de Dieu, Notre-Seigneur Jésus-Christ nous a parlé de son corps et de son sang en les désignant par des objets à la confection desquels concourent plusieurs autres réunis ensemble ; car le pain se fait par la réunion d’un grand nombre de grains, comme encore le vin se fait avec le jus de plusieurs raisins.
18. Enfin, il indique comment peut se faire ce qu’il dit et ce que c’est que manger son corps et boire son sang. « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et je demeure en lui ». Prendre cette nourriture et boire ce breuvage n’est donc autre chose que demeurer dans le Christ et le posséder en soi-même à titre permanent. Par là même, et sans aucun doute, quand on ne demeure pas dans le Christ, et qu’on ne lui sert point d’habitation, on ne mange point (spirituellement) sa chair, et on ne boit pas non plus son sang, quoiqu’on tienne d’une manière matérielle et visible soins sa dent le sacrement du corps et du sang du Sauveur ; bien plus, en recevant le signe sensible d’une si précieuse chose, il le mange et boit pour sa condamnation, parce qu’il n’a pas craint de s’approcher dès sacrements du Christ avec une âme souillée. Celui-là seul, en effet, s’en approche dignement, qui le fait avec une conscience pure, suivant cette parole de l’Évangile : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu [1] ».
19. « Car », dit-il, « comme mon Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que je vis à cause du Père, ainsi celui qui me mange vivra à cause de moi ». Il ne dit pas : Comme je mange mon Père et que je vis à cause de lui, ainsi celui qui me mange vivra à cause de moi. Car, en participant à la nature du Père, le Fils n’en devient point plus parfait, puisqu’il a été engendré son égal ; mais nous, nous devenons meilleurs en entrant en participation du Fils, en nous unissant à son corps et à son sang, mystère désigné par la manducation et l’action de boire dont il a parlé plus haut. Nous vivons donc à cause de lui, puisque nous le mangeons, c’est-à-dire puisque nous recevons de lui la vie éternelle, que nous ne pouvions trouver en nous-mêmes ; pour lui, il vit à cause de son Père qui l’a envoyé, parce qu’il s’est anéanti lui-même et qu’il est devenu obéissant jusqu’à la mort de la croix[2]. Si nous interprétons ces paroles « Je vis à cause de mon Père », d’après cet autre passage : « Mon Père est plus grand que moi[3] », il en est du Christ comme de nous ; car nous vivons à cause de lui, qui est plus grand que nous ; c’est pour lui la conséquence de sa mission. Il a été envoyé, c’est-à-dire il s’est anéanti lui-même en prenant la forme d’esclave : cette interprétation est juste ; on peut la soutenir, tout en continuant à reconnaître que le Fils est, par nature, égal au Père. Car le Père est plus grand que son Fils considéré comme homme ; mais, en tant que Dieu, le Fils lui est égal ; car il est, en même temps, Dieu et homme, Fils de Dieu et Fils de l’homme, dans une seule personne, qui est Jésus-Christ. Si l’on entend bien dans ce sens les paroles du Sauveur : « Comme mon Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que je vis à cause de mon Père, ainsi celui qui me mange vivra à cause de moi » ; il a voulu dire ceci : L’anéantissement où m’a réduit ma mission a eu pour résultat de me faire vivre à cause de mon Père, c’est-à-dire, de me faire rapporter à lui, comme étant plus grand que moi, toute ma vie ; ainsi, chacun de ceux qui me mangeront vivra à cause de moi, par l’effet de cette participation à ma personne. Je me suis humilié c’est pourquoi je vis à cause du Père ; le chrétien qui me mange s’élève, et, par là, il vit à cause de moi. Que si le Christ a dit : « Je vis à cause de mon Père », parce que le Fils vient du Père et que le Père ne vient pas du Fils, ces paroles ne portent aucune atteinte à l’égalité du Fils par rapport à son Père. De là il suit évidemment qu’en disant : « Ainsi celui qui me mange vivra éternellement », le Sauveur n’a voulu, en aucune manière, nous mettre sur un même pied d’égalité avec lui : il n’a

  1. Mt. 5, 8
  2. Phil. 2, 8
  3. Jn. 14, 28