Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/566

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ceux qui n’ont fait que l’entendre, en ont eu l’intelligence.
11. Nous trouvons, dans la femme affligée d’un flux de sang, le type de cette Église qui devait se former de nations païennes : elle touchait le Sauveur sans être aperçue. Sans la connaître, il lui rendait la santé. C’était en figure que le Christ adressait à ses disciples cette question : « Qui est-ce qui m’a touché ? » Il guérit, comme il ne s’en doutait pas même, cette femme qu’il semblait ne pas connaître. Ainsi agit-il à l’égard des Gentils. Nous ne l’avons pas connu au moment où il était revêtu de notre humanité, et, toutefois, nous avons mérité de nous nourrir de sa chair et de devenir les membres de son corps. Pourquoi ? Parce qu’il nous a envoyé des émissaires. Quels émissaires ? Ses hérauts, ses disciples, ses serviteurs, ceux qu’il s’était rachetés après les avoir créés, mais qu’il avait rachetés pour en faire ses frères ; mais je dis encore trop peu : il nous a envoyé ses membres, lui-même ; et, en nous envoyant ses membres, il a aussi fait de nous ses membres. Remarquez-le, néanmoins ; lorsque les Juifs le voyaient au milieu d’eux et le méprisaient, son corps avait une tout autre apparence que celle sous laquelle il s’est montré au milieu de nous : cela avait été aussi dit de lui, suivant l’expression de l’Apôtre : « Car je vous déclare que Jésus-Christ a été le ministre pour le peuple circoncis, afin de vérifier la parole de Dieu et de confirmer les promesses faites à nos pères ». Il a dû venir vers eux ; car leurs pères en avaient reçu la promesse, et ils la leur avaient transmise : c’est pourquoi le Sauveur s’exprime lui-même ainsi : « Je ne suis envoyé que pour les brebis perdues de la maison d’Israël [1] ». Mais qu’est-ce qu’ajoute l’Apôtre ? « Les Gentils doivent glorifier Dieu de la miséricorde qu’il leur a faite[2] ». Et le Seigneur ? « J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de ce bercail ». Le Christ avait dit : « Je ne suis envoyé que pour les brebis perdues de la maison d’Israël » : comment peut-il y avoir d’autres brebis, vers lesquelles il n’ait pas été envoyé ? En s’exprimant de la sorte, il a donc voulu faire comprendre qu’il ne devait se manifester sous la forme humaine qu’aux Juifs, qui l’ont vu et mis à mort. Néanmoins, avant et après, il s’en est trouvé beaucoup parmi les Gentils pour croire en lui. Du haut de la croix, il a secoué et criblé le grain de la première récolte, pour en tirer la semence nécessaire à la seconde. Aujourd’hui, la prédication de l’Évangile et la bonne odeur de Jésus-Christ, ayant amené à la foi les disciples que devaient lui donner toutes les nations du monde, les peuples attendront que vienne de nouveau celui qui est déjà venu [3]. Alors sera vu par tous celui qui a été vu par les uns, et que les autres n’ont pas contemplé : alors viendra juger les hommes celui qui est venu subir le jugement des hommes : alors enfin apparaîtra pour discerner les bons des méchants, celui qui n’a pas été reconnu à sa première apparition en ce monde. On n’a pas, en effet, discerné le Christ d’avec les impies ; on l’a confondu et condamné avec eux, car il a été dit de lui « Il a été compté parmi les pécheurs [4] ». Un brigand a été mis en liberté, et le Sauveur condamné à mort[5]. Un scélérat a trouvé grâce malgré ses crimes ; on a prononcé une sentence de mort contre celui qui a pardonné à tous les coupables, repentants de leurs fautes. Et pourtant, si tu y fais bien attention, la croix elle-même a été, pour le Christ, un vrai tribunal : placé comme un juge, entre les deux larrons, il a délivré celui des deux qui a cru en lui [6], et condamné celui qui l’a insulté. Par là, il nous a déjà fait entendre ce qu’il fera à l’égard des vivants et des morts, plaçant les uns à la droite, et les autres à la gauche, et désignant, par avance, ceux-ci dans la personne du mauvais larron, et ceux-là dans la personne du bon larron. Au moment même où il subissait le jugement des hommes, il les menaçait de celui qu’il leur ferait subir à son tour.

  1. Mt. 15, 21
  2. Rom. 15, 8-9
  3. Gen. 49, 10
  4. Isa. 53, 12
  5. Mc. 15, 15; Jean, 18, 40
  6. Lc. 23, 43