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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/604

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n’existent plus dans un corps malade ; il n’y a plus trace de stabilité chez celui qui marche ; l’individu qui est tombé à terre, ne marche pas plus qu’il ne se tient debout ; la parole est morte à l’égard d’une langue qui ne remue pas ; pour tout être qui change et qui devient ce qu’il n’était pas, je remarque une sorte de vie dans ce qu’il est, une sorte de mort dans ce qu’il n’est plus. Enfin, lorsqu’on parle d’un mort, on dit : Où est cet homme ? d’autres répondent : Il a existé. O vérité essentiellement vraie ! En effet, dans toutes nos actions et toutes nos agitations, en n’importe quel mouvement d’une créature, je trouve deux temps, le passé et le futur. Je cherche le présent, il n’est déjà plus ; ce que je dis est déjà loin de moi ; ce que je dirai n’existe pas encore. Ce que j’ai fait n’est plus, ce que je ferai n’est pas encore : il ne reste plus vestige de ma vie passée ; ce qui me reste à vivre est encore dans le néant. Le prétérit et le futur se rencontrent dans tout changement des choses, mais ils ne se trouvent ni l’un ni l’autre dans l’immuable vérité ; je n’y vois que le présent, et cela sans ombre de vicissitude ; il n’en est pas ainsi des créatures. Examine attentivement les variations des choses ; toujours tu remarqueras qu’elles ont été et qu’elles seront ; que si tu reportes tes pensées vers Dieu, tu verras qu’il est, parce qu’on ne peut rencontrer en lui ni passé ni avenir. Pour que tu sois, il faut que tu t’élèves au-delà des limites du temps. Mais qui est-ce qui pourra s’élever ainsi par ses propres forces ? C’est à celui-là de nous y aider, qui a dit à son Père : « Là où je suis, je veux que ceux-ci y soient pareillement ». Jésus-Christ nous a fait cette promesse, afin que nous ne mourions pas dans nos péchés ; c’est pourquoi, en disant ces paroles : « Si vous ne croyez pas que je suis », il n’a pu, à mon avis, vouloir dire autre chose que ceci : « Si vous ne croyez pas que je suis » Dieu, « vous mourrez dans vos péchés ». Bien. Grâces à Dieu de ce qu’il a dit : « Si vous ne croyez pas », au lieu de dire : Si vous ne comprenez pas ; car où est l’homme capable de saisir un pareil mystère ? Mais parce que j’ai osé en parler et que vous avez paru suivre ma pensée, auriez-vous réellement pénétré cette ineffable vérité ? Si tu n’y comprends rien, la foi te sauve. C’est en raison de la difficulté de le comprendre que le Sauveur n’a pas dit : Si vous ne comprenez pas que je suis ; il s’est donc mis à la portée de ses auditeurs, et il a dit : « Si vous ne croyez pas que je suis, vous mourrez dans vos péchés ».
11. Toujours imbus de pensées terrestres, écoutant et répondant toujours d’une manière charnelle, les Juifs lui répondirent. Que lui répondirent-ils ? « Qui es-tu ? » Quand vous leur avez adressé ces paroles : « Si vous a ne croyez pas que je suis », vous n’avez rien dit de plus pour leur apprendre qui vous étiez. « Qui êtes-vous ? » Disons-le, afin que nous croyions en vous. « Je suis le principe ». Voilà bien ce que c’est qu’être. « Le commencement » ne peut subir de vicissitude ; il demeure en lui-même et renouvelle toutes choses ; c’est à lui qu’il a été dit : « Vous êtes éternellement le même, et vos années ne passeront pas [1]. Je suis le principe, parce « que je vous parle ». Pour ne pas mourir dans vos péchés, croyez que je suis « le commencement ». En lui disant : « Qui es-tu ? » ils semblaient ne pas avoir voulu lui dire autre chose que ceci : comment devons-nous te considérer ? Aussi leur répondit-il : Comme « le Principe », c’est-à-dire, regardez-moi comme « le Principe ». Le latin se prête moins que le grec à certaines distinctions ; chez les Grecs, le mot principe est du genre féminin, comme, chez nous, le mot loi, qui est masculin dans leur langue. Chez eux et chez nous, le mot sagesse est féminin. L’habitude a déterminé dans les divers idiomes le genre des mots destinés à exprimer les choses qui n’ont pas de sexe. La sagesse n’est vraiment pas du sexe féminin, puisque « le Christ est la sagesse de Dieu[2] », et que le mot Christ s’emploie au masculin, tandis que le mot sagesse s’emploie au féminin. Les Juifs lui avaient dit : « Qui es-tu ? » Parmi eux, il ne l’ignorait pas, se trouvaient des hommes qui lui adressaient cette question : « Qui es-tu ? » Pour savoir ce qu’ils devaient penser de lui, il leur répondit donc : « Le commencement » ; non comme s’il leur disait : Je suis le principe, mais : Regardez-moi comme le principe. Je l’ai dit, ce sens ressort évidemment du mot grec « principe », qui est du féminin. S’il avait voulu dire qu’il était la vérité, à ceux qui lui auraient fait cette question : « Qui es-tu ? » il aurait répondu : La vérité, parce qu’il aurait dû, ce semble,

  1. Ps. 101, 28
  2. 1 Cor. 1, 24