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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/66

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mon disciple un verre d’eau froide, ne perdra point sa récompense[1] ». Un verre d’eau froide ne coûte pas deux pièces de monnaie, on le donne pour rien ; et toutefois, quoiqu’il ne coûte rien, tel homme peut l’avoir, tel autre non ; si donc celui qui l’a le donne à celui qui ne l’a point, il donne autant, si le don qu’il fait vient d’une charité parfaite ; il donne autant que cette femme avec ses pièces de monnaie, que Zachée avec la moitié de ses biens. Car, ce n’est point sans sujet que le Fils de Dieu ajoute le mot froide, afin de montrer qu’elle vient du pauvre. Il a dit « un verre d’eau froide », afin que nul ne pût s’excuser en disant qu’il n’a point de bois pour la chauffer. « Quiconque donnera à mes disciples un verre d’eau froide, ne perdra point sa récompense ». Mais s’il n’a pas même ce verre d’eau ? Qu’il soit hors de crainte quand il ne l’a pas même : « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté » ; qu’il craigne seulement de pouvoir faire le bien, et de ne point le faire. Car s’il peut, sans le faire, il est gelé intérieurement : ses péchés ne sont point dissous, comme la glace du torrent au souffle du midi, son cœur est demeuré froid. Que valent ces grands biens que nous possédons ? Voilà un homme au cœur fervent, qu’a fondu la chaleur du midi ; et n’eût-il rien, Dieu lui tient compte de tout. Voyez les services que se rendent les mendiants. Que votre charité comprenne comment on fait l’aumône. C’est aux mendiants sans doute que tu fais l’aumône, ce sont les mendiants qui ont faim. Vous jetez donc les yeux sur vos frères, vous voyez leurs besoins, et si le Christ est en vous, vous secourez même les étrangers. Mais ces pauvres mêmes dont le métier est de mendier, ont dans leur misère de quoi se secourir mutuellement. Dieu leur a donné le moyen de montrer s’ils aiment à donner l’aumône. Celui-ci ne saurait marcher, celui-là qui le peut, prête au boiteux le secours de ses pieds ; celui qui voit prête ses yeux à l’aveugle ; celui qui est jeune et vigoureux prête ses forces au vieillard, au malade, il le porte : l’un donc est pauvre, et l’autre est riche à son égard.
13. Il arrive quelquefois que le riche soit pauvre, et que le pauvre lui rende service. Voilà, près d’un fleuve, un homme aussi frêle qu’il est riche, il ne saurait le traverser ; en découvrant ses membres, il se refroidirait, deviendrait malade, et mourrait ; il arrive là un pauvre plus robuste de corps, qui porte le riche sur l’autre rive, et qui fait ainsi l’aumône au riche. Donc ne regardez point comme pauvre ceux-là seulement qui n’ont point d’argent. Voyez en quoi chaque homme est pauvre, car vous êtes riches peut-être dans ce qui lui manque, et vous avez de quoi l’assister. Lui prêter le secours de tes membres, c’est plus peut-être que lui prêter de l’argent. Il a besoin de conseils, et tu es homme de bons conseils ; sous ce rapport il est pauvre et tu es riche. Voilà que sans fatigue, sans perte aucune, tu donnes un simple conseil et tu fais l’aumône. Maintenant, mes frères, que nous vous parlons, vous êtes comme des pauvres pour nous, et nous vous assignons une part dans les dons qu’il a plu à Dieu de nous faire. Car nous recevons tous de lui, qui seul est souverainement riche. Ainsi donc se maintient le corps du Christ ; les membres sont unis entre eux et rattachés par les liens de la charité et de la paix, chacun dans ce qu’il possède fait une part à celui qui n’a rien ; il est riche dans celui qui possède et pauvre dans celui qui ne possède point. Aimez-vous ainsi, mes frères, ayez une mutuelle charité. Ne soyez pas uniquement occupés de vous-mêmes, voyez autour de vous ceux qui ont besoin. Ne vous laissez point décourager par ce qu’il y a de pénible et de fatigant dans ces aumônes. Vous semez dans les larmes, vous moissonnerez dans la joie. Eh quoi ! mes frères. Quand le laboureur s’en va, portant derrière sa charrue le grain qu’il veut semer, n’est-il pas souvent accueilli par un vent trop froid, ou détourné par la pluie ? Il regarde le ciel, il le voit sombre, il tremble de froid, et pourtant il marche, il sème. Il craint qu’en s’arrêtant à un ciel trop sombre, pour attendre un jour plus beau, il ne perde l’occasion de semer, et ne trouve rien à moissonner. Ne différez donc point, mes frères, semez pendant l’hiver, semez des bonnes œuvres, même dans les larmes ; car « ceux qui sèment dans les larmes, moissonneront dans la joie ». Ils jettent en terre leur semence, leur bonne volonté et leurs bonnes œuvres.
14. « Ils allaient et pleuraient en répandant leurs semences »[2]. Parce qu’ils étaient parmi

  1. Mt. 10,42 ; Mc. 9,40
  2. Ps. 125,6