Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/85

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même : si donc cet infatigable ennemi est immortel, d’où ne prendrait-il pas occasion de nous tenter, de nous torturer, de nous exposer aux menaces et aux scandales ? Oh ! si tu commençais à vivre dans la piété de Jésus-Christ, tu comprendrais quelles persécutions doit endurer celui qui vit de la sorte. Pourquoi donc souffrons-nous de si grandes persécutions ? « Si nous bornons à cette vie nos espérances », nous dit l’Apôtre, « nous sommes les plus malheureux des hommes[1] ». Pour quel bien les martyrs furent-ils condamnés aux bêtes ? Quel est ce bien, et peut-on le nommer ? Quelle langue pourrait le dire, quelles oreilles pourraient l’entendre ? « L’oreille de l’homme, en effet, ne l’a pas entendu, et son cœur n’a pu le comprendre[2] ». Aimons un si grand bien, avançons dans la vertu pour l’acquérir. Vous voyez que les combats ne nous manquent point, et nous avons à combattre nos convoitises. Nous combattons au-dehors les hommes infidèles et rebelles à Dieu, au dedans nos tentations et les troubles de la chair. Partout des combats, « parce que le corps qui se corrompt appesantit l’âme[3] ». Nous combattons encore, parce que si l’esprit est vie, le corps néanmoins est mort à cause du péché[4]. Mais qu’arrivera-t-il ? « Si l’esprit de Jésus-Christ habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ d’entre les morts vivifiera vos corps mortels, à cause de l’esprit qui habite en vous[5] ». Ainsi donc, quand les membres de notre corps auront reçu la vie, rien ne résistera à notre esprit. La faim ne sera plus, la soif ne sera plus, parce que tout cela vient de la corruption du corps. Tu as besoin de réparer, parce qu’il y a en toi dépérissement. Or, les convoitises charnelles et les plaisirs combattent contre nous ; et nous portons la mort dans l’infirmité de notre corps ; mais quand la mort elle-même sera changée en ce qui est immuable, quand ce qui est corruptible sera revêtu d’incorruption, et ce qui est mortel revêtu d’immortalité, que dirons-nous à cette mort ? : « O mort, où est ta victoire ? O mort, où est ton aiguillon[6] ? » Mais peut-être qu’après la mort on nous dira : Il reste encore des ennemis ? Non, mes frères, la mort sera le « dernier ennemi à détruire », nous dit saint Paul. Et quand la mort sera détruite, nous jouirons de l’immortalité. S’il n’y a plus aucun ennemi à détruire, la mort sera donc la dernière et ce bien après lequel nous soupirons sera la paix. Le bien, mes frères, est donc la paix, bien d’un grand prix. Vous vous demandiez si ce bien s’appelait de l’or, de l’argent, une belle terre, un riche manteau. Non, c’est la paix. Non point la paix comme elle existe entre les hommes, paix infidèle, incertaine, changeante ; non point la paix telle qu’un homme peut l’avoir avec lui-même. Car, nous l’avons dit, l’homme est en guerre contre son propre cœur ; il a toujours à se combattre, toujours à vaincre ses passions. Quelle est donc cette paix ? « Celle que l’œil n’a point vue, que l’oreille na pas entendue[7] ». Quelle est cette paix ? Celle qui vient de Jérusalem. Car Jérusalem signifie vision de la paix. « Que le Seigneur donc te bénisse de Sion, en sorte que tu voies les biens de Jérusalem » et que tu les voies tous les jours de ta vie. « Et que tu voies », non seulement tes enfants, « mais les enfants de tes enfants[8] ». Qu’est-ce à dire, tes enfants ? Les bonnes œuvres que tu fais. Et les enfants de tes enfants ? Les fruits de tes œuvres. Tu fais des aumônes, voilà tes enfants ; et par tes aumônes tu acquiers la vie éternelle, voilà les enfants de tes enfants. « Puisses-tu donc voir les enfants de tes enfants », et alors s’accomplira cette parole qui termine le psaume : « Paix sur Israël ! » Telle est la paix que nous prêchons, la paix que nous aimons, la paix que nous cherchons à vous faire aimer. C’est là que parviennent ceux qui ont été pacifiques ici-bas. Et ceux qui aiment la paix ici-bas l’aiment aussi dans le ciel, et ils entourent la table du Seigneur comme une plantation de jeunes oliviers, en sorte qu’il n’est aucun arbre stérile, comme ce figuier où le Sauveur ayant faim ne trouva aucun fruit. Voyez ce qui lui arriva. Il n’avait que des feuilles ; mais de fruits, aucun[9]. C’est l’état des hommes qui n’ont que des paroles, et non des œuvres. Le Seigneur n’y trouva rien qu’il pût manger dans sa faim ; car le Seigneur a faim de notre foi, il a faim de nos bonnes œuvres. Donnons-lui pour nourriture une vie sainte, et il nous donnera pour aliment la vie éternelle.

  1. 1 Cor. 15,19
  2. Id. 2,9
  3. Sag. 9,15
  4. Rom. 8,10-11
  5. 1 Cor. 15,53-55
  6. Id. 26
  7. 1 Cor. 2,9
  8. Ps. 127,6
  9. Mt. 21,18-19