Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome X.djvu/90

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que vous deviendrez bons. Car ce fut quand l’herbe eut grandi et produit du fruit que l’ivraie se montra aussi[1]. Dans l’Église, il n’y a que l’homme juste qui découvre les méchants. Il y a donc un mélange, vous le savez, et l’Écriture nous dit à chaque page que la séparation n’aura lieu qu’à la fin des siècles. Mais nonobstant ce mélange, il y a néanmoins une distinction, De peur toutefois que ce mélange des bons et des méchants ne donne lieu de croire que la justice touche de près à l’injustice : a Ils n’ont rien pu sur u moi s, dit le Psalmiste ; c’est-à-dire, ils ont dit, mais dit en insensés : « Mangeons et buvons, nous mourrons demain[2] ». Leurs discours pervers n’ont point corrompu en moi les mœurs pures ; je n’ai point écouté, d’une part, la parole de Dieu, pour céder d’autre part aux discours des méchants. Les œuvres des méchants, je les ai supportées sans y consentir, et leur iniquité est loin de moi. Quoi de plus rapproché que deux hommes dans l’Église ? Quoi de plus éloignées que la justice et l’injustice ? Mais l’assentiment fait le rapprochement. On lie ensemble deux hommes, que l’on mène devant le juge. L’un est un voleur, un scélérat, l’autre un innocent : une même chaîne les retient, et néanmoins ils sont éloignés l’un de l’autre. De quelle distance sont-ils éloignés ? de toute la distance qui sépare le crime de l’innocence. Ils sont donc fort éloignés l’un de l’autre. Mais ce voleur qui fait le mal en Espagne, est tout près de celui qui le fait en Afrique. De combien en est-il proche ? Comme le crime l’est du crime, le brigandage du brigandage. Que nul dès lors ne redoute le mélange corporel des méchants. Qu’il s’en éloigne de cœur ; et il supporte avec assurance ce qu’il n’a point à craindre : « Leur injustice est loin de moi ».
9. Mais qu’arrive-t-il ? Voilà que ceux qui règnent dans l’injustice sont florissants dans le monde : et pour parler comme le vulgaire, voilà que les méchants tonnent, qu’ils s’élèvent avec orgueil, qu’ils répandent la calomnie. Est-ce donc là ce qui durera toujours ? Nullement ; écoute la suite : « Le Seigneur qui est juste brisera la tête des pécheurs ». Que votre charité soit attentive. « Le Seigneur dans sa justice brisera la tête des pécheurs ». Qui ne tremblerait à cette parole ? Car où est l’homme sans péché ? « Le Seigneur dans sa justice brisera la tête des pécheurs ». Quiconque entend ces paroles est saisi de crainte, s’il croit aux divines Écritures. Si, en effet, l’on n’a aucun motif de se frapper la poitrine et qu’on le fasse quand on est juste, c’est mentir ; mais mentir à Dieu c’est devenir pécheur. Si donc on a raison de se frapper la poitrine, on est pécheur. Et qui d’entre nous ne se frappe la poitrine ? Qui d’entre nous ne tient ses regards fixés à terre comme le publicain, pour dire : « Seigneur, ayez pitié de moi qui suis pécheur[3] ? » Si donc tous sont pécheurs, et si nul n’est sans péché, tous doivent craindre ce glaive qui menace leur tête : car « le Seigneur dans sa justice brisera les têtes des pécheurs ». Toutefois, mes frères, je ne crois point qu’il s’agisse ici de tous les pécheurs ; mais l’endroit qu’il frappe nous désigne quels pécheurs seront frappés. Car il n’est point dit : Le Seigneur qui est juste brisera la main des pécheurs, ou même leur brisera les pieds ; mais le Prophète voulait désigner entre les pécheurs ceux qui sont orgueilleux, et les pécheurs orgueilleux lèvent la tête, non seulement parce qu’ils commettent le mal, mais parce qu’ils ne veulent point le reconnaître, et qu’ils se justifient dès qu’on le leur reproche. Voilà, leur dit-on, que tu es coupable, reconnais ta faute ; le Seigneur hait le pécheur, hais-le à ton tour ; sois uni au Seigneur, afin de poursuivre ton péché avec lui. Point du tout, répond-il, j’ai fait le bien, c’est Dieu qui a fait le mal. Je m’explique, mes frères. Je n’ai fait aucun mal, nous dit ce pécheur. C’est Saturne qui l’a fait, c’est Mars, c’est Vénus : pour moi, je n’ai rien fait, mon étoile a tout fait. Tu le justifies, en accusant le Seigneur qui a fait les étoiles pour en orner les cieux. Tu excuses donc ton péché, en t’élevant contre Je Seigneur ; car tu te dis innocent et Dieu coupable, et tu lèves dès lors un cou inflexible pour t’élancer contre Dieu, ainsi qu’il est dit au livre de Job à propos du pécheur obstiné : « Il s’est élancé contre Dieu, élevant comme un bouclier son cou gonflé d’orgueil[4] ». Comme le Psalmiste, Job a nommé le cou. Tu t’élèves donc au lieu de fixer tes regards sur la terre, de frapper ta poitrine, et de dire au Seigneur : « Ayez pitié de moi qui suis un pécheur » ; te voilà vantant tes mérites,

  1. Mt. 13,26
  2. Isa. 23,13 ; 1 Cor. 15,32
  3. Lc. 18,13
  4. Job. 15,26