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Père, où les vôtres habiteront avec vous ? Et si vous les prenez avec vous, comment pourrez-vous revenir, puisque vous ne vous éloignez pas d’eux ? Mes très-chers frères, comme le discours d’aujourd’hui me paraît déjà assez long, si j’essaie de vous expliquer en peu de mots ces paroles, je me verrai obligé d’abréger ; par cela même elles ne deviendront pas plus claires, et la brièveté y ajoutera une nouvelle obscurité. Renvoyons donc à un autre jour l’accomplissement de ce devoir ; nous nous en acquitterons en temps plus opportun, avec la grâce du commun Père de famille.

SOIXANTE-HUITIÈME TRAITÉ.

SUR LA MÊME LEÇON.

LES DEMEURES DE LA MAISON DE DIEU.

Il y a plusieurs demeures dans la maison de Dieu : préparées en droit par la prédestination, elles nous sont préparées de fait par Jésus-Christ, puisque la maison de Dieu est son royaume, que nous sommes nous-mêmes ce royaume, et que, par la grâce du Sauveur, nous nous préparons à en faire partie ; mais nous ne pouvons y parvenir effectivement qu’autant que Jésus-Christ n’est pas visible au milieu de nous, c’est-à-dire, qu’autant que nous vivons de la foi.

1. Je me reconnais votre débiteur, mes très chers frères, et le temps est venu de m’acquitter de ce que je vous ai promis. Je tâcherai donc de vous montrer qu’il n’y a pas contradiction entre les deux paroles de Notre-Seigneur que nous allons citer. Il dit d’abord « Dans la maison de mon Père, il y a plusieurs demeures ; s’il en était ainsi, je vous aurais dit : Je vais vous préparer une place » ; par là, il montre suffisamment qu’il leur a parlé ainsi parce qu’il y a déjà plusieurs demeures, et qu’il n’a pas besoin d’en préparer. Puis il ajoute : « Et quand je m’en serai allé, et que je vous aurai préparé une place, je reviendrai et je vous prendrai auprès de moi, afin que vous soyez où je serai ». Comment s’en va-t-il, et prépare-t-il une place, si déjà il y a plusieurs demeures ? Si cela n’était pas, il aurait dit : « Je vais préparer une place » ; ou bien, si cette place devait être préparée, pourquoi n’aurait-il pas eu raison de dire : Je dois la préparer ? Ces demeures existent-elles déjà, et, malgré cela, ont-elles besoin d’être préparées ? Car, si elles n’existaient point, Jésus aurait dit : « Je vais préparer une place ». Cependant, quoique ces demeures existent déjà, et qu’elles exigent d’être préparées, il ne va pas les préparer telles qu’elles sont. Néanmoins, s’il s’en va et qu’il les prépare comme elles doivent être, il reviendra, il prendra ses disciples auprès de lui et ils seront eux-mêmes où il sera. Ces demeures qui sont dans la maison du Père (pas d’autres, mais celles-là), comment existent-elles, sans être comme elles doivent être préparées, et comment n’existent-elles pas encore comme elles doivent être préparées ? Comment le comprendre, sinon en la même manière que le Prophète ? Ne dit-il pas, en effet, que Dieu a fait les choses qui doivent se faire ? Le Prophète ne dit pas : Dieu fera ce qui doit se faire ; mais : « Il a fait ce qui doit se faire[1] ». Donc il a fait ces choses, il doit les faire ; car elles ne sont pas faites, s’il ne les a pas faites ; et elles ne seront pas faites, s’il ne les fait pas plus tard. Il les a donc faites par sa prédestination, et il les fera par son opération ; ainsi en est-il des disciples du Sauveur : l’Évangile nous indique suffisamment à quelle époque Notre-Seigneur les choisit ; ce fut évidemment lorsqu’il les appela[2]; et cependant, dit l’Apôtre, « il nous a choisis avant la création du monde[3] ». En les prédestinant, mais non en les appelant. « Ceux qu’il a prédestinés, il les a appelés[4] » ; il les a choisis en les prédestinant avant la

  1. Isa. 45, 11, suiv. les Septante
  2. Lc. 6, 13
  3. Eph. 1, 4
  4. Rom. 8, 30