Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/132

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folle cruauté ? Ne mettaient-ils pas à mort celui qu’ils livraient pour le faire mettre à mort ? La croix ne fait-elle pas mourir ? Ainsi deviennent insensés ceux qui attaquent la sagesse, au lieu de la suivre. Mais que signifient ces mots : « Il ne nous est pas permis de faire mourir quelqu’un ? » S’il est un malfaiteur, pourquoi cela ne leur est-il pas permis ? Est-ce que leur loi ne leur ordonne pas de ne point épargner le malfaiteur, surtout ceux qui, comme ils le croyaient de lui, cherchaient à séduire le peuple et à l’éloigner de son Dieu [1] ? Mais il faut le croire, ils voulaient dire qu’il ne leur était pas permis de mettre quelqu’un à mort à cause de la sainteté de la fête qu’ils avaient commencé de célébrer. Déjà, pour ce motif, ils craignaient de se souiller en entrant dans le prétoire. Etes-vous endurcis à ce point, ô faux israélites ? Votre trop grande malice vous a-t-elle fait perdre le sentiment, au point que vous ne vous croyiez pas souillés par le sang d’un innocent, par cette raison que vous le faites répandre par un autre ? Cet homme que vous livrez à Pilate pour qu’il le mette à mort, Pilate le fera-t-il mourir de ses propres mains ? Si vous n’avez pas voulu qu’il fût mis à mort, si vous ne lui avez pas dressé des embûches, si vous n’avez pas obtenu à prix d’argent qu’il vous fût livré, si vous ne l’avez pas saisi, chargé de chaînes et emmené de force, si de vos propres mains vous ne l’avez pas offert pour être mis à mort, si, par vos cris, vous n’avez pas demandé sa mort, alors vous pourrez vous vanter de ne l’avoir pas tué vous-même s. Mais si, en outre de toutes ces choses que vous avez faites, vous avez crié : « Crucifiez, crucifiez [2] », écoutez ce qu’à son tour le Prophète crie contre vous : « Enfants des hommes, vos dents sont des armes et des flèches, et votre langue est une épée tranchante [3] ». Voilà avec quelles armes, avec quelles flèches et quelle épée vous avez tué le juste, quand vous avez dit qu’il ne vous était pas permis de faire mourir quelqu’un. Aussi, bien que, pour saisir Jésus, les princes des prêtres ne fussent pas venus eux-mêmes,, mais qu’ils eussent envoyé leurs satellites, dans ce même endroit de son récit l’Évangéliste Luc dit : « Mais Jésus dit aux princes des prêtres, aux magistrats du temple et aux vieillards qui étaient venus vers lui : Vous êtes venus comme pour un voleur [4] ». Et le reste. Ainsi, les princes des prêtres, au lieu de venir en personne, avaient envoyé des émissaires pour s’emparer de Jésus ; mais n’étaient-ils pas venus eux-mêmes par suite de l’ordre qu’ils avaient donné ? De même ceux qui, élevant leur voix impie ont crié pour faire crucifier Jésus-Christ, l’ont mis à mort, non par eux-mêmes, sans doute, mais par celui que leurs cris ont poussé à ce crime.
5. Notre Évangéliste Jean ajoute : « Afin que s’accomplît la parole que Jésus avait dite, indiquant de quelle mort il devait mourir ». Si dans ces paroles nous voulons voir une allusion à la mort de la croix, en sorte que les Juifs auraient dit : « Il ne nous est permis de faire mourir personne », parce que autre chose est d’être mis à mort, autre chose est d’être crucifié, je ne vois pas comment cela pourrait s’expliquer raisonnablement. Les Juifs ne font, en effet, que répondre à ces paroles de Pilate : « Prenez-le, et jugez-le selon votre loi ». Ne pouvaient-ils pas le prendre et le crucifier eux-mêmes, si, en infligeant un semblable supplice, ils pensaient, selon leur désir, ne se rendre coupables de la mort de personne ? Mais, on le voit facilement, il serait absurde qu’il leur fût permis de crucifier quelqu’un, tandis qu’il ne leur serait point permis de le mettre à mort. D’ailleurs, Notre-Seigneur parlant de sa mort, c’est-à-dire de sa mort sur la croix, ne dit-il pas qu’on le mettra à mort ? C’est en effet ce que nous lisons en Marc : « Voilà que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l’homme sera livré aux princes des prêtres et aux scribes, et ils le condamneront à mort, et ils le livreront aux Gentils et ils se moqueront de lui, et ils lui cracheront au visage, et ils le flagelleront, et ils le tueront, et le troisième jour il ressuscitera[5] ». Notre-Seigneur, par ces paroles, montra donc de quelle mort il devait mourir, non qu’il voulût indiquer ici sa mort sur la croix, mais bien que les Juifs le livreraient aux Gentils, c’est-à-dire aux Romains. Car Pilate était romain, et c’étaient les Romains qui l’avaient envoyé comme gouverneur en Judée ; cette parole de Jésus devait donc s’accomplir, c’est-à-dire, les Gentils devaient faire mourir Jésus après qu’on le leur aurait

  1. Deut. 13, 5
  2. Jn. 19, 6
  3. Ps. 56, 5
  4. Lc. 22, 52
  5. Mc. 10, 33, 31