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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/143

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sort sur eux, afin de savoir ce que chacun aurait pour sa part », il semble dire que le sort a été jeté, non pas seulement sur la tunique, mais encore sur tous les autres vêtements. Mais ici encore, à force de concision, le récit devient obscur, car voici ses paroles : « En jetant le sort sur eux » ; c’était dire, en d’autres termes : En jetant le sort pendant qu’ils partageaient les vêtements ; c’est ce qui eut lieu. En effet, le partage de tous les vêtements du Sauveur n’aurait pas été complet si le sort n’avait pas désigné celui à qui échoirait aussi la tunique ; c’était le seul moyen de mettre un terme aux chicanes des partageurs, ou plutôt de les empêcher d’éclater. « Afin que chacun sût ce qu’il devait avoir pour sa part » ; ces paroles se rapportent au sort qui fut jeté, et non à tous les vêtements qui furent partagés. Ils jetèrent le sort, afin de savoir qui aurait la tunique. Parce que l’Évangéliste a omis de dire ce qu’était cette tunique, comment elle s’était trouvée en surplus après le partage égal des autres vêtements ; parce qu’il avait omis de dire qu’on la tirait au sort pour ne pas la déchirer, il a ajouté à dessein cette observation : « Afin que chacun sût ce qu’il devait avoir », c’est-à-dire, qui aurait cette tunique. De cette façon, telle aurait été sa pensée : Ils partagèrent ses vêtements en jetant le sort sur eux, afin de savoir auquel des quatre échoirait cette tunique qui se trouvait de reste, après partage égal.
4. Quelqu’un me demandera peut-être ce que signifient le partage des vêtements de Jésus en quatre lots et la mise des sorts sur sa tunique. La division en quatre parts des vêtements de Notre-Seigneur Jésus-Christ était la figure de celle de l’Église, qui se trouve disséminée dans les quatre parties du monde et partagée également, c’est-à-dire équitablement entre toutes ces parties. C’est pourquoi il est dit ailleurs que Dieu enverra ses anges pour réunir ses élus des quatre vents [1]. Que signifient ces quatre vents, sinon l’Orient, l’Occident, l’Aquilon et le Midi ? Et cette tunique tirée au sort représente l’ensemble de toutes ces parties de l’Église, unies les unes aux autres par les liens de la charité. Pour parler de la charité, l’Apôtre s’exprime en ces termes : « Je vous montrerai une voie beaucoup plus excellente encore[2] ». Il dit en un autre endroit : « Et connaître l’amour de Jésus-Christ envers nous, qui surpasse toute connaissance [3] » ; ailleurs encore « Mais surtout avec la charité, qui est le lien de la perfection [4] ». Si la charité a une voie plus excellente encore, si elle surpasse la science, si elle est commandée par-dessus toutes choses, il n’est pas étonnant que la tunique qui en était la figure ait été d’un seul tissu, depuis le haut jusqu’en bas. Elle était sans couture, pour qu’on ne pût jamais la découdre ; elle est échue à un seul des quatre soldats, parce que de tous les chrétiens elle ne fait qu’un cœur et qu’une âme. Ainsi en a-t-il été pour les Apôtres : ils étaient au nombre de douze, c’est-à-dire de trois fois quatre. Lorsque le Sauveur les interrogea, Pierre fut seul pour répondre : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant » ; et le Christ lui dit : « Je te donnerai les clefs du royaume des cieux [5] », comme s’il donnait à Pierre seul le pouvoir de lier et de délier ; cependant il avait parlé au nom de tous, et s’il avait reçu ce pouvoir, c’était comme représentant du collège apostolique, et tous l’avaient reçu comme lui. Seul, il représentait tous les autres, parce que tous ne faisaient qu’un. Aussi, après avoir dit qu’ « elle était d’un seul tissu depuis le haut », Jean a-t-il ajouté : « jusqu’en bas ». Si nous nous reportons à ce que figurait cette tunique, nous verrons que quiconque appartient au tout, en fait partie ; de ce tout, comme l’indique le grec, l’Église catholique tire son nom. Que représente le sort, si ce n’est la grâce divine ? Le sort fut chose agréable à tous, parce que la tunique échut à tous dans la personne d’un seul ; de la même manière la grâce de Dieu se répand sur tous, parce qu’elle se répand sur l’ensemble ; de plus, quand on jette le sort, ce qui décide le succès, ce n’est ni la personne ni le mérite de l’un ou de l’autre, c’est le secret jugement de Dieu.
5. De ce que ce partage a été fait par des méchants, c’est-à-dire par des gens qui, au lieu de suivre le Christ, l’ont poursuivi, personne n’est en droit de conclure que leur conduite n’a rien pu figurer de bon. Que dirons-nous, en effet, de la croix elle-même, qui a été certainement préparée et attachée à la personne du Christ par des ennemis et des impies ? Néanmoins, c’est avec raison qu’on voit en elle, suivant l’expression de l’Apôtre,

  1. Mt. 24, 31
  2. 1 Cor. 12, 31
  3. Eph. 3, 19
  4. Col. 3,14
  5. Mt. 16, 15-16, 19