Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/199

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu[1] ». Qu’est-ce encore que cela ? « Lui qui, ayant la nature de Dieu, n’a point cru que ce fût pour lui une usurpation de s’égaler à Dieu[2] ». Les méchants ne peuvent voir le Christ sous cet aspect, c’est-à-dire comme ayant la nature de Dieu, comme Verbe de Dieu, comme Fils unique du Père, comme égal au Père ; mais en tant qu’il est le Verbe fait chair, les méchants eux-mêmes pourront le voir, car c’est en cette qualité qu’il viendra juger, comme il est déjà venu ainsi pour être jugé. Homme par l’apparence, mais Dieu en réalité ; car « maudit l’homme qui se confie dans l’homme[3] ». Il est venu comme homme pour être jugé ; il viendra comme homme pour exercer le jugement. Et si on ne le voyait pas alors, pourquoi ce passage de l’Ecriture : « Ils verront quel est Celui qu’ils ont percé[4] ? » C’est des impies qu’il est dit qu’ils verront et qu’ils seront confus. Comment les méchants pourraient-ils ne pas le voir, quand il placera les uns à sa droite et les autres à sa gauche ? A ceux qui se trouveront à la droite, il dira : « Venez, bénis de mon Père, entrez en possession de son royaume ». Et à ceux qui se trouveront à la gauche, il dira : « Allez au feu éternel[5] ». Ils le verront, mais dans sa forme d’esclave ; comme Dieu, ils ne le verront pas. Pourquoi ? Parce qu’ils sont méchants, et que le Sauveur lui-même a dit : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu[6] ». Nous aurons donc, mes frères, le privilège de contempler quelque chose, de voir ce que l’œil de l’homme n’a point vu, ce que son oreille n’a jamais entendu, ce que son cœur n’a jamais compris[7]. Nous aurons une vision, nous contemplerons une beauté qui surpasse toutes les beautés de la terre, la beauté de l’or et de l’argent, la beauté des forêts et des campagnes, la beauté de la mer et des airs, la beauté du soleil et de la lune, la beauté des étoiles et celle des esprits angéliques, une beauté supérieure à toutes les autres, car toutes les autres lui empruntent leur éclat et leurs charmes.


6. Que serons-nous donc quand nous contemplerons cette admirable beauté ? Que nous est-il promis ? « Nous lui serons semblables parce que nous le verrons tel qu’il est ».L’Apôtre a parlé comme il a pu ; c’est à notre cœur d’imaginer le reste. Qu’est-ce que Jean lui-même a dit pour nous donner une idée de Celui qui est ? Que pouvons-nous dire à notre tour à des hommes si éloignés d’égaler ses mérites ? Revenons donc à l’onction divine ; revenons à cette onction qui nous instruit intérieurement de ce que notre langue ne saurait exprimer ; et puisque maintenant vous ne pouvez voir, sachez du moins désirer de le faire. La vie tout entière d’un bon chrétien n’est qu’un saint désir continuel. Sans doute, ce que tu désires tu ne le vois pas ; désire-le néanmoins, et par là tu te rendras capable d’être entièrement satisfait, lorsque viendra le moment de le voir. Lorsque tu veux remplir un contenant quelconque, et que tu sais grandes les dimensions de l’objet qu’on te donnera, tu élargis le sac ou l’outre ou tout autre contenant ; tu connais la grosseur de l’objet qui doit y entrer, tu vois que le contenant est petit ; aussi l’élargis-tu pour le rendre plus apte à recevoir son contenu ; ainsi Dieu, en différant de se donner à toi, dilate tes désirs ; en les dilatant, il élargit ton esprit ; en l’élargissant, il te rend plus capable de le posséder. Désirons donc, mes frères, puisque nous devons être rassasiés. Voyez comme Paul dilate son cœur, afin d’être à même d’y recevoir ce que Dieu doit lui donner. Voici ses paroles : « Non que j’aie a déjà reçu ou que je sois arrivé à la perfection, mes frères, je ne pense pas avoir déjà saisi le prix ». Que faites-vous donc en cette vie, si vous n’avez pas encore saisi le prix ? « Mais tout ce que je sais, c’est qu’oubliant ce « qui est derrière moi, et que m’étendant vers ce qui est devant moi, je souhaite ardemment saisir la palme à laquelle Dieu m’appelle du haut des cieux[8] ». A l’entendre, il s’est étendu, il a fait tous ses efforts de volonté possible pour saisir le prix. Il se sentait trop petit pour prendre ce que l’œil de l’homme n’a point vu, ce que son oreille n’a point entendu, ce que son cœur n’a jamais compris. Notre vie d’ici-bas consiste donc à donner à notre âme les élans de continuels désirs. Autant nous sommes travaillés par le désir du ciel, autant notre cœur se débarrasse des désirs terrestres et se détache du monde. Nous avons déjà dit parfois : Vide ce que tu dois remplir. Vide le mal qui se trouve en toncœur,

  1. Jn. 1, 1
  2. Phil. 2, 6
  3. Jer. 17, 5
  4. Jn. 19, 37
  5. Mt. 25, 31, 41
  6. Id. 5, 8
  7. 1 Cor. 2, 9
  8. Phil. 3, 13, 14