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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/210

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dans le besoin, et qu’on délivre le prochain des épreuves du temps, en leur faisant part des biens temporels qu’on possède en abondance. Voilà où commence la charité. Après qu’elle aura ainsi pris naissance en toi, donne-lui pour aliment la parole de Dieu et l’espérance de la vie future, et tu arriveras à ce degré de perfection que tu seras prêt à donner ta vie pour tes frères.


2. Il en est qui ont d’autres espérances, qui n’aiment pas leurs frères, et qui, pourtant, font beaucoup d’œuvres pareilles ; retournons au témoignage de la conscience. Comment prouver que ceux qui n’aiment pas leurs frères, agissent souvent de la sorte ? Combien, parmi les hérétiques et les schismatiques, se donnent le nom de martyrs ! A leurs propres yeux, ils donnent leur vie pour leurs frères. Mais s’ils donnaient leur vie pour leurs frères, est-ce qu’ils feraient schisme avec la fraternité universelle ? Évidemment, non. De même que des gens font des largesses, distribuent de l’argent en quantité, uniquement par ostentation, et ne cherchent en cela que les louanges des hommes, que la considération du peuple, considération bouffie, exposée à toutes les chances de vicissitudes du temps ! Puisque telle est leur conduite, comment reconnaître la charité fraternelle ? L’Apôtre veut nous la faire distinguer ; aussi nous donne-t-il un avertissement : « N’aimons pas seulement de parole et de langue, mais par les œuvres et en vérité ». Nous voulons savoir par quelle œuvre, en quelle vérité. Peut-il y avoir une œuvre plus certaine que celle de donner aux pauvres ? Beaucoup le font par jactance, et non par charité. Peut-il y avoir d’œuvre plus grande que celle de mourir pour ses frères ? C’est ce que plusieurs voudraient encore avoir la réputation de faire, par désir de se faire un nom, et non point par sentiment intime de charité. Pour aimer nos frères ; il ne nous reste rien à faire qu’à nous retirer en présence de Dieu, dans ce sanctuaire où notre œil seul pénètre, où nous sentons notre cœur persuadé, où nous nous interrogeons nous-mêmes pour savoir si l’amour du prochain est le mobile de nos actions ; alors, il reçoit le témoignage de cet œil qui scrute les profondeurs de son âme où nul homme ne saurait porter ses regards. Aussi, parce qu’il était prêta mourir pour ses frères, et qu’il disait : « Je me sacrifierai moi-même pour vos âmes[1] », parce que Dieu lisait en son cœur ce que ne pouvaient y lire les hommes auxquels il adressait la parole, l’apôtre Paul leur disait : « Je me mets fort peu en peine d’être jugé par vous ou devant le tribunal de l’homme[2] ». Le même Apôtre prouve, en un autre endroit, que d’habitude les œuvres de miséricorde sont le résultat de la vanité, au lieu d’être l’effet d’une charité solide. Parlant, en effet, de cette charité fraternelle pour la faire connaître, il s’exprime ainsi : « Quand je distribuerais tous mes biens aux pauvres, et que je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n’ai point la charité, tout cela ne me sert de rien[3]». Peut-on faire tout cela sans avoir la charité ? Sûrement, oui. Car ceux qui n’ont pas la charité, ont scindé l’unité. Cherchez parmi eux, et vous en verrez beaucoup donner beaucoup aux pauvres ; vous en verrez beaucoup disposés à mourir, puisque, la persécution ayant pris fin, ils se précipitent eux-mêmes dans les abîmes ; il est sûr que, pour tout cela, la charité ne les inspire nullement. Revenons-en donc à la conscience, dont l’Apôtre parle en ces termes : « Ce qui fait notre gloire, c’est le témoignage de notre conscience[4] ». Retournons à notre conscience, au sujet de laquelle le même Apôtre a dit : « Que chacun examine bien ses propres actions, et, alors seulement, il aura de quoi se glorifier en lui-même, et non dans un autre[5] ». Que chacun de-nous examine donc ses propres actions, afin devoir si elles émanent de la vraie charité, si elles proviennent de la racine tout aimante de l’arbre des bonnes œuvres. « Que chacun », dit Jean, « examine ses propres actions, et, alors seulement, il aura de quoi se glorifier en lui-même, et non dans un autre » ; quand il recevra un bon témoignage, non de la part des étrangers, mais de sa propre conscience.


3. Voici ce qu’il nous rappelle ici. « Nous connaissons que nous sommes enfants de la vérité », quand nous aimons, non-seulement de parole et de langue, mais par le œuvres et en vérité ; « et, en présence de Dieu, nous sentons nos cœurs persuadés ». Qu’est-ce à dire : « En présence de Dieu ? » Où s’étendent ses regards. C’est pourquoi le Sauveur dit lui-même dans l’Evangile :«

  1. 2 Cor. 12, 15
  2. 1 Cor. 4, 3
  3. Id. 13, 3
  4. 2 Cor. 1, 12
  5. Gal. 6, 4