Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/219

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

source, Dieu a voulu la placer ici-bas, afin que nous ne tombions pas de défaut dans le cours de notre voyage ; nous y puiserons plus abondamment encore lorsque nous serons parvenus à entrer dans la patrie. On vous a tout à l’heure donné lecture de l’Évangile ; relativement aux paroles qui terminaient cette leçon, je vous demanderai : De quoi avez-vous entendu parler, si ce n’est de la charité ? En effet, nous avons fait un pacte avec Dieu dans la prière, c’est de pardonner au prochain les torts qu’il peut avoir à notre égard, si nous voulons que le Seigneur nous pardonne à nous-mêmes nos offenses envers lui[1]. Qui est-ce qui nous les pardonne ? La charité seule. Ôte la charité du cœur humain, il n’y a plus en lui que haine ; il ne sait point pardonner. Que la charité s’y trouve, elle pardonne en toute sécurité, parce qu’elle ne sait pas se tenir à l’étroit. Cette Épître elle-même, que nous avons entrepris de vous expliquer, voyez si, d’un bout à l’autre, elle vous recommande autre chose que la charité, oui, la charité toute seule ? Il ne faut pas craindre de la faire détester en parlant souvent d’elle ; car qu’aimerait-on si l’amour venait à être haï ? Cette charité qui nous porte à aimer ardemment tout le reste, combien on doit la chérir elle-même ? C’est donc une chose qui ne doit jamais s’éloigner ni de notre cœur, ni de notre bouche.

2. « Mes petits enfants, vous êtes de Dieu, et vous l’avez vaincu » ; qui, sinon l’antéchrist ? Car l’Apôtre avait dit auparavant : « Quiconque divise Jésus-Christ et nie qu’il soit venu dans la chair, n’est pas de Dieu[2] ». Si vous vous en souvenez, nous vous avons fait voir que tous ceux-là nient que Jésus-Christ soit venu dans la chair, qui violent le précepte de la charité ; c’est, en effet, par charité, et non par nécessité, que Jésus s’est fait homme. Ainsi nous donne-t-il l’exemple de la charité qu’il nous recommande lui-même dans l’Évangile : « Personne ne peut témoigner un plus grand amour qu’en donnant sa vie pour ses amis[3] ». Mais comment le Fils de Dieu aurait-il pu donner sa vie pour nous, s’il ne s’était préalablement revêtu d’un corps capable de mourir ? Quoi qu’on puisse dire, si l’on viole le précepte de la charité, on nie donc, par sa conduite, que le Christ soit venu dans la chair ; et à cette condition, n’importe où l’on se trouve, n’importe où l’on soit entré, on est un antéchrist. Mais que dit l’Apôtre aux citoyens de ce pays qui est notre patrie et vers lequel se dirigent nos aspirations ? « Vous l’avez vaincu » : Et pourquoi l’ont-ils vaincu ? « Parce que Celui qui est en vous est plus grand que celui qui est dans le monde ». Jean veut les empêcher d’attribuer la victoire à leurs propres forces, et d’être eux-mêmes vaincus par l’enflure de l’orgueil ; car le démon se rend vainqueur de tous ceux qu’il rend orgueilleux ; il veut leur faire conserver l’humilité ; pour cela, quel langage leur tient-il ? « Vous l’avez vaincu ». À ces mots : « Vous l’avez vaincu », on redresse, on relève la tête, on prétend à des louanges. Ne te fais pas si grand à tes yeux ; vois qui est-ce qui a vaincu en toi. Pourquoi as-tu remporté la victoire ? « Parce que Celui qui est en vous est plus grand que celui qui est dans le monde ». Sois humble ; porte ton maître, sois la monture de ton cavalier ; il est bon pour toi qu’il te guide et te conduise. Car si tu ne l’as point pour cavalier, tu peux lever la tête, tu peux marcher ; néanmoins, malheur à toi ; sans conducteur, abandonné à toi-même, tu te serviras de ta liberté pour te jeter au milieu de bêtes féroces qui te dévoreront.

3. « Ils sont du monde ». Qui ceux-là ? Les antéchrists. Vous savez qui sont ceux qui sont antéchrists ; si vous ne l’êtes pas vous-mêmes, vous les connaissez ; quiconque l’est, ne les connaît pas. « Ils sont du monde, c’est pourquoi ils parlent le langage du monde, et le monde les écoute ». Qui sont ceux qui parlent le langage du monde ? Remarquez-le : ce sont les ennemis de la charité. Vous avez entendu le Seigneur vous dire : « Si vous remettez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous remettra aussi vos péchés. Mais si vous ne remettez point aux hommes leurs fautes, votre Père céleste ne vous remettra point non plus vos péchés[4] ». Tel est le verdict de la vérité ; et si ce n’est point là le langage de la vérité, donnes-en la preuve. Si tu es chrétien et que tu croies au Christ, rappelle-toi qu’il a dit : « Je suis la vérité[5] ». Cette parole est vraie, elle est à l’abri de toute attaque. Écoute maintenant les hommes qui parlent le langage du monde : et tu ne te vengeras pas ? et celui-là pourra se vanter qu’il a ainsi

  1. Mat. 6, 12
  2. Jn. 4, 3
  3. Id. 15, 13
  4. Mat. 6, 14-15
  5. Jn. 15, 6