Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/230

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A quoi bon des enfants, s’ils doivent être mauvais ? Ils sont donc incertains les avantages que tu sembles désirer à ton ennemi, en raison de l’affection que tu lui portes : oui, ils sont incertains. Souhaite-lui de partager avec toi le bonheur de la vie éternelle ; souhaite-lui d’être ton frère. Si l’amour, que tu as pour ton ennemi, te porte à désirer qu’il soit ton frère, tu aimes donc un frère en l’aimant. En lui, tu n’affectionnes pas ce qu’il y a, mais ce que tu voudrais y rencontrer. Si je ne me trompe, j’ai déjà proposé cette comparaison à votre charité : Un arbre vigoureux est déposé sur une place publique ; il vient d’être abattu, il est encore enveloppé de son écorce : en le voyant, un ouvrier habile l’aime ; j’ignore ce qu’il veut en faire. Mais l’ouvrier n’aime pas cet arbre en ce sens que celui-ci doive toujours rester le même. Il le voit tel qu’il sera quand il aura été travaillé, et non tel qu’il est dans ses affections : il aime ce qu’il deviendra, et non ce qu’il est présentement. C’est de la même manière que Dieu aime les pécheurs. Nous disons que Dieu a aimé les pécheurs, car il a dit : « Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin du médecin, mais les malades[1] ». Nous étions pécheurs ; nous a-t-il aimés en ce sens que nous devions persévérer dans le péché ? Nous étions comme. un arbre ramené de la forêt ; il était, lui, comme un ouvrier habile : il nous a vus, et il a pensé, non pas à ce que nous étions, mais a ce qu’il ferait de nous. Il en est ainsi de toi. Tu vois que ton ennemi te fait opposition, qu’il te fait du mal, qu’il te blesse par des propos piquants, qu’il t’accable d’affronts, et, te poursuit de sa haine : à. ces marques, tu reconnais qu’il est homme. Tu vois tous ces procédés haineux qui te viennent de l’homme, et, en même temps, tu aperçois en lui la créature de ton Dieu. En tant qu’homme créé, il est l’œuvre de Dieu ; mais comme ton ennemi, il est l’auteur de ses iniques procédés : s’il te porte envie, il est responsable de ses actes. Que dis-tu en toi-même ? Seigneur, soyez indulgent à son égard, pardonnez-lui ses péchés, inspirez-lui la crainte, changez-le. En lui, tu n’affectionnes pas ce qui s’y trouve, mais ce que tu voudrais y rencontrer. Par conséquent, lorsque tu aimes un ennemi, tu aimes un. frère. C’est pourquoila charité parfaite consiste à aimer ses ennemis ; elle est comprise dans la charité fraternelle. Et que personne ne dise qu’à cet égard l’apôtre Jean nous a commandé moins, et que Notre-Seigneur Jésus-Christ nous a commandé davantage : Jean nous a donné le précepte d’aimer nos frères, et le Christ celui de chérir même nos ennemis[2]. Remarque en quel sens le Christ t’a recommandé d’aimer tes ennemis. Est-ce en ce sens qu’ils doivent persévérer dans leur inimitié ? Si tu les aimes en ce sens, au lieu de les aimer, tu les détestes. Vois comment il les a lui-même affectionnés : il ne voulait pas les voir persévérer dans le péché. « Père », dit-il, « pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font[3] ». Il désirait la conversion de ceux pour lesquels il demandait pardon : et ces pommes, dont il souhaitait la conversion, il a bien voulu, d’ennemis qu’ils étaient, en faire ses frères, et, en réalité, il les a rendus tels. Il a été mis à mort et enseveli. Il est ressuscité et monté au ciel ; il a envoyé l’Esprit-Saint à ses disciples : ils ont, avec confiance, commencé à prêcher son nom ; ils ont opéré des miracles au nom de Jésus crucifié et plis à mort. Ces miracles, les bourreaux du Sauveur les ont vus, et ceux qui, dans l’excès de leur fureur, avaient fait couler le sang du Christ, s’en sont abreuvés en croyant en lui.


11. En vous disant ceci, mes frères, j’ai été un peu long ; néanmoins, il me fallait vous parler ainsi, puisque je devais recommander aussi chaleureusement que possible à votre charité la charité même. Si la charité est nulle en vous, nous avons perdu notre temps à parler ; mais si vos âmes en sont embrasées, nous avons comme jeté l’huile sur le feu ; et peut-être nos paroles en ont-elles allumé la flamme dans des cœurs où elle ne brûlait pas. Chez les uns, la charité qui s’y trouvait a pris de l’accroissement ; chez les autres, elle ne se trouvait pas, mais elle y a pris naissance. Nous vous avons donc tenu ce langage, afin que vous ne mettiez pas de lenteur à aimer vos ennemis. Un homme s’acharne-t-il contre toi ? Il te fait du mal : prie pour lui ; il te déteste. use d’indulgence à son égard. Son cœur, brûlé par la fièvre de la haine, abhorre ta personne ; il guérira et te sera reconnaissant. Comment les médecins aiment-

  1. Mt. 9, 12
  2. Mt. 5, 44
  3. Lc. 23, 34