Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/234

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demeure en Dieu, et Dieu en lui[1] ». Que Dieu soit pour toi une maison, sois une maison pour Dieu ; demeure en Dieu, et que Dieu demeure en toi. Dieu demeure en toi pour te contenir ; tu demeures en Dieu pour ne pas tomber ; car ainsi parle de la charité l’apôtre Paul : « La charité ne tombe pas[2] ». Comment tomber lorsqu’on se tient en Dieu ?
2. « L’amour de Dieu est parfait en nous, en ce que nous avons confiance pour le jour du jugement, parce que nous sommes en ce monde, comme il y est lui-même ». L’Apôtre indique, pour chacun, le moyen de s’éprouver soi-même, de savoir dans quelle proportion la charité a augmenté en lui, ou plutôt, quels progrès il a faits dans la charité. Si la charité est Dieu, Dieu n’augmente ni ne diminue ; la charité n’est donc censée augmenter en toi que parce que tu fais en elle des progrès. Cherche alors à savoir combien tu as profité en fait de charité ; écoute ce que te dira ton cœur, et tu auras la mesure de ton avancement dans cette vertu. Jean a promis de nous indiquer la manière de connaître Dieu, et il a dit : « L’amour de Dieu est parfait en nous, en ce » ; cherche en quoi ? « que nous avons confiance pour le jour du jugement ». Quiconque a confiance pour le jour du jugement, la charité est parfaite en lui. Qu’est-ce qu’avoir confiance pour le jour du jugement ? C’est ne pas craindre de le voir venir. Il est des hommes qui n’y croient pas ; ceux-là ne peuvent avoir confiance pour un jour qu’ils ne croient point devoir venir. Laissons de côté cette sorte de personnes. Que Dieu les ressuscite pour qu’ils vivent ; pour nous, avons-nous à parler d’hommes morts ? Ils ne croient pas au jour du jugement à venir ; ils ne craignent ni ne désirent ce à quoi ils ne croient point. Quelqu’un commence à croire au jour du jugement ; dès lors qu’il commence à y croire, il commence à le craindre. Mais parce qu’il craint encore, il n’a pas encore confiance pour le jour du jugement ; la charité n’est pas encore parfaite en lui. Néanmoins, y a-t-il lieu de désespérer. De ce que tu vois le commencement, est-ce pour toi un motif de désespérer de la fin ? Quel commencement aperçois-je, me diras-tu ? La crainte. Écoute l’Écriture : « La crainte du « Seigneur est le commencement de la sagesse[3] ». Cet homme a donc commencé à craindre le jour du jugement : que cette crainte lui serve à se corriger, qu’il se montre vigilant à l’égard de ses ennemis, c’est-à-dire de ses péchés ; qu’il commence à revivre de la vie intérieure et à mortifier ses membres terrestres, selon ces paroles de l’Apôtre : « Faites mourir les membres de l’homme terrestre qui est en vous ». Il donne aux passions désordonnées de l’âme le nom de membres de l’homme terrestre ; car, pour expliquer sa pensée, il ajoute « L’avarice, l’impureté[4] », et tous les autres vices dont il fait ensuite mention. Autant celui qui commence à craindre le jour du jugement mortifie ses membres terrestres, autant ses membres célestes grandissent et se fortifient : ces membres célestes ne sont autres que toutes les bonnes œuvres. Dès lors que les membres célestes se font voir, le chrétien commence à désirer ce qu’il craignait. Il craignait de voir le Christ venir et trouver un impie à condamner ; il désire maintenant que le Christ vienne, parce qu’il trouvera un homme pieux à récompenser. Et dès l’instant qu’avec une âme chaste, désireuse de recevoir les baisers de son époux, il souhaite la venue du Christ, il renonce à l’adultère ; la foi, l’espérance et la charité, le rendent intérieurement vierge. Il a désormais confiance dans le jour du jugement, et il ne se déclare point contre lui-même, quand il prie et qu’il dit : « Que votre règne arrive[5] ». Car celui qui redoute la venue du royaume de Dieu, craint d’être exaucé. Mais celui qui prie avec la confiance qu’inspire la charité, souhaite le voir venir. Quelqu’un parlait de ce désir quand il disait dans un psaume : « Et vous, Seigneur, jusques à quand ? Tournez-vous vers moi, Seigneur, et sauvez mon âme[6] ». Il gémissait de voir son existence se prolonger. Il y a des hommes qui se soumettent à mourir, il en est d’autres, et ceux-là sont parfaits, qui se soumettent à vivre. Qu’ai-je dit ? Celui qui désire voir son existence d’ici-bas se prolonger encore, supporte avec soumission la nécessité de mourir, quand l’heure en est venue pour lui ; il lutte contre lui-même, afin de suivre la volonté de Dieu, et, dans son cœur, il aime mieux se conformer au bon vouloir de Dieu qu’à ses propres aspirations : du désir qu’il éprouve de vivre encore, naît avec la mort

  1. Jn. 4, 16
  2. 1 Cor. 13, 8
  3. Sir. 1, 16
  4. Col. 3, 5
  5. Mt. 6, 10
  6. Ps. 6, 4-5