Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/258

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suivent les vices et les passions mauvaises ? Pourquoi est-elle appelée large ? Parce qu’elle est courue par un grand nombre d’hommes. Comme une route terrestre reçoit le nom de grande route quand elle est beaucoup fréquentée et offre ainsi beaucoup d’attraits ; de même, au point de vue spirituel, la voie large est celle où se rassemble la multitude des hommes qui s’abandonnent aux vices. Donc, mes bien-aimés, fuyez la voie large, c’est-à-dire fuyez la voie honteuse et vicieuse. Fuyez la voie de l’ivresse : elle est large, puisqu’elle reçoit tous les intempérants. Fuyez la voie de l’impureté : elle est large aussi, puisqu’elle reçoit tous les impudiques. Fuyez la voie de la cupidité, puisqu’elle est suivie par tous ceux qui usurpent le bien d’autrui. Fuyez cette voie tant désirée et tant recherchée par un si grand nombre d’hommes. « Car », dit le Seigneur, « beaucoup sont appelés, mais peu sont élus[1] ». Ne vous laissez tenter ni par la société ni par les exemples du grand nombre, car il est plus d’hommes pour aimer le péché que pour aimer la justice. N’est-il pas préférable de posséder le royaume céleste et éternel avec le petit nombre, que de tomber avec la multitude dans la mort et le châtiment éternels ? Suivez le petit nombre de justes, plutôt que la multitude des pécheurs. Méritez la vie éternelle avec le petit nombre, et redoutez l’enfer, malgré la multitude de ceux qui s’y précipitent.
3. « Qu’elle est étroite et escarpée », dit le Seigneur, « la voie qui conduit à la vie, et qu’ils sont peu nombreux, ceux qui la trouvent ! » Parlant de la voie large, il venait de dire : « Ceux qui la suivent sont nombreux ». Mais dès qu’il s’agit de la voie étroite : « Qu’ils sont peu nombreux, ceux qui la trouvent ! » Ces oracles nous prouvent non seulement que cette voie étroite ne peut être courue qu’avec peine, mais encore qu’il est difficile de la trouver. En nous disant que « bien peu trouvent cette voie », le Sauveur nous montre qu’un grand nombre d’hommes paraissent la chercher, tandis qu’un bien petit nombre mérite de la trouver. Pourquoi donc n’y en a-t-il que peu pour la trouver, tandis qu’un grand nombre la cherchent ? C’est que tous ne mettent pas la même diligence à la chercher. Les uns y mettent beaucoup d’empressement, les autres beaucoup de négligence ; or, le succès n’est promis qu’à ceux qui font preuve de zèle et de bonne volonté. Beaucoup d’hommes sont aujourd’hui membres de l’Église, et tous ceux qui lui appartiennent semblent par cela même chercher le salut. Mais tous y mettent-ils la même diligence ? Est-ce chercher la voie du salut que de s’abandonner à l’intempérance, tout en paraissant encore dans l’Église ? de se livrer à l’avarice, tout en paraissant appartenir à l’Église ? Est-ce chercher la voie du salut que de verser le sang de son frère, ou de se couvrir des souillures de l’impudicité ? Tous ces vices conduisent directement à la mort ; voilà pourquoi ceux qui marchent dans la voie de la mort ne sauraient en même temps rechercher la voie de la vie. De là cette parole du Sauveur dans l’Évangile : « Combien peu trouvent la voie étroite ! » Ils sont si peu nombreux qu’on en rencontre à peine, et que cette voie étroite semble invisible et cachée. Cette conclusion n’est que trop vraie. La voie étroite est cachée, non pas sur un seul point ou dans un seul lieu, mais dans les choses les plus diverses et les vertus les plus nombreuses. Elle est cachée dans la foi et dans la croyance, car, pour trouver la voie de la vie, il faut croire fidèlement, selon cette parole : « A moins que vous ne croyiez, vous ne comprendrez pas ». De même donc que personne ne peut comprendre Dieu, s’il n’est auparavant conduit par la foi, de même personne ne peut arriver à la vie éternelle, si la foi ne lui montre le chemin et ne lui ouvre la porte. A ce point de vue donc, mes bien-aimés, la voie de la vie est cachée dans la foi. Elle est également cachée dans la chasteté ; « car », dit l’Apôtre, « les impudiques ne posséderont pas le royaume de Dieu[2] ». Si donc les impudiques ne parviennent pas à la vie, le bonheur éternel ne pourrait être que pour celui qui est chaste. La voie de la vie est également cachée dans l’aumône et la bienfaisance : « L’aumône », dit l’Écriture, « délivre les hommes de la mort[3] » ; l’avarice conduit donc à l’enfer.
5. Mes frères, si vous voulez chercher et trouver la seule voie bonne, aimez et conservez fidèlement les vertus dans lesquelles se trouve la voie de la vie ; car celui qui suivra cette voie entrera dans la lumière éternelle et possédera la vie qui ne finira jamais. Ainsi soit-il.

  1. Mt. 20, 16
  2. 1 Cor. 6, 9
  3. Tob. 12, 9