Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/42

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garder qui fait naître l’amour ? Qui peut douter que l’amour précède ? Car celui qui n’aime point n’a pas le moyen d’observer les commandements. Quand Jésus-Christ nous dit : « Si vous gardez mes commandements, « vous demeurerez dans mon amour », il nous montre, non pas ce qui fait naître l’amour, mais ce qui en est la preuve. C’est comme s’il disait : Ne pensez pas que vous demeurez dans mon amour, si vous ne gardez pas mes commandements ; mais si vous les gardez, vous y demeurerez : c’est-à-dire, il paraîtra que vous demeurerez dans mon amour si vous gardez mes commandements. Que personne donc ne se trompe, en disant qu’il aime Dieu, s’il ne garde pas ses commandements. Car mieux nous observons ses commandements, plus aussi nous l’aimons ; et moins bien nous les gardons, moins nous l’aimons. Quoique, par ces paroles : « Demeurez dans mon amour », il ne paraisse pas de que l’amour il a voulu parler, de celui dont nous l’aimons, ou de celui dont il nous aime, nous pouvons néanmoins le savoir par ce qu’il a dit plus haut. En effet, après avoir dit : « Je vous ai aimés », il ajoute aussitôt : « Demeurez dans mon amour » ; c’est donc dans l’amour dont il nous a aimés. Que veut donc dire : « Demeurez dans mon amour ? » Le voici : demeurez dans ma grâce. Et que veulent dire ces paroles : « Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour ? » Vous connaîtrez que vous demeurez dans l’amour dont je vous aime, si vous gardez mes commandements ; donc, pour qu’il nous aime, il ne faut pas que d’avance nous gardions ses commandements ; mais, à moins qu’il nous aime, nous ne pouvons garder ses commandements. C’est là la grâce qui est connue aux humbles, mais qui est cachée aux superbes.
4. Et que signifie ce que Notre-Seigneur ajoute : « Comme j’ai gardé les commandements de mon Père et que je demeure dans son amour ? » Ici encore, assurément, il a voulu nous désigner cet amour dont le Père l’a aimé. En effet, après avoir dit : « Comme mon Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés », il ajoute aussitôt : « Demeurez « dans mon amour », évidemment dans cet amour dont je vous ai aimés. C’est pourquoi, ce qu’il dit du Père : « Je demeure dans son amour », il faut l’entendre de l’amour dont le Père l’a aimé. Mais ici encore faut-il entendre que c’est par la grâce que le Père aime le Fils, comme c’est par la grâce que le Fils nous aime, puisque nous sommes les enfants de Dieu par grâce et non par nature, tandis que le Verbe est son Fils unique par nature, et non par grâce ? ou bien est-ce au Fils en tant qu’homme qu’il faut rapporter ces paroles ? Oui, sans aucun doute. Par ces mots, en effet : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés », il nous montre la grâce du médiateur. Mais Jésus-Christ est médiateur entre Dieu et les hommes, non pas en tant que Dieu, mais en tant qu’homme. Et assurément c’est de Jésus considéré comme homme qu’il est dit : « Et Jésus croisa sait en sagesse, en âge et en grâce devant Dieu et devant les hommes [1] ». En ce sens nous pouvons donc le dire en toute vérité bien que la nature humaine n’appartienne pas à la nature divine, cependant la nature humaine appartient à la personne du Fils unique de Dieu par l’effet d’une grâce, et cette grâce est si grande qu’il n’y en a pas de plus grande ni même de pareille. Cette assomption de la nature humaine n’a été, en effet, précédée d’aucun mérite ; mais de cette union sont venus tous ses mérites. Le Fils demeure donc dans l’amour dont le Père l’a aimé, et c’est pour cela qu’il a gardé ses commandements. Qu’est-ce qu’aurait été même cet homme, si Dieu ne se l’était pas uni[2] ? Car le Verbe était Dieu, Fils unique, coéternel à son Père ; mais pour qu’un médiateur nous fût donné, par une grâce ineffable le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous [3].

  1. Lc. 2, 52
  2. Ps. 3, 4
  3. Jn. 1, 1, 14