Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/428

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à renier le Christ, à se prosterner devant les idoles, qui ont méprisé les idoles, pour confesser le nom du Christ, n’ont point consenti à être incorporés à leur secte. Qu’ils chantent, oui, qu’ils chantent, qu’ils chantent glorieusement, qu’ils chantent avec allégresse et avec vérité : « Béni soit le Seigneur, qui ne nous a point abandonnés à leurs dents, comme une proie ». Les pièges, c’est la perfidie ; les pièges, c’est l’impiété ; les pièges, c’est l’apostasie du Christ. Voilà les pièges que l’on a tendus. Tu entends quels sont les chasseurs ; et si tu veux échapper aux chasseurs, méprise leurs menaces. Tu sais ce que font les chasseurs. D’une part, ils tendent les pièges, et, d’autre part, ils effraient le gibier pour le pousser dans leurs filets. Crains-tu le danger dont tu es menacé ? Fuir est bien plus dangereux encore. Les martyrs donc, voyant l’endroit où les chasseurs avaient tendu leurs filets (car le persécuteur ne menaçait de mort que pour amener à renier le Sauveur) ont préféré souffrir, mais en souffrant ils évitaient les pièges. Quelle proie magnifique pour les filets du chasseur, quel festin pour l’impie Babylone, si l’on eût amené Cyprien à renier le Seigneur ! Quelle noble proie, quelle chasse, quels mets succulents pour les festins impies de Babylone, que Cyprien, cet évêque, ce docteur des nations, qui détourne des idoles, qui déjoue les démons, qui gagne les païens, qui soutient les chrétiens, qui enflamme les martyrs ! Qu’un tel homme, un si grand homme vienne à renier, quelle joie pour l’impie Babylone ! « Béni soit le Seigneur, qui ne nous a point abandonnés à leurs dents comme une proie ». Ils ont sévi, ils ont persécuté, ils ont mis à la torture, jeté en prison, chargé de chaînes, brûlé, exposé aux bêtes. Et le Christ n’a point eu d’apostat, et le confesseur du Christ a été couronné. Fureur perdue pour les uns, gloire du martyre pour les autres. « Qu’il soit donc béni, le Seigneur » ; que le peuple chrétien chante avec raison : « Béni soit le Seigneur, qui ne nous a point abandonnés à leurs dents comme une proie ». Qu’il le chante, aujourd’hui que ce lieu est rempli d’un peuple qui applaudit, d’un peuple qui adore un Dieu seul et véritable. Qu’il le dise : voici ce lieu ; et répandre ici le sang de notre martyr, c’était semer cette belle moisson. O terre, ne t’étonne point de ta fertilité ! tu n’as été arrosée que pour produire.

3. Donc : « Béni soit le Seigneur, qui ne nous a point donnés à leurs dents comme une proie[1] ». Quelle force, en effet, a pu nous arracher aux dents de l’impie ? Ne nous arrogeons rien, n’attribuons rien à notre puissance. « Béni soit le Seigneur, qui ne nous a point donnés à leurs dents comme une proie ». Qu’étions-nous, en effet, quand la force effrayait notre faiblesse, la grandeur notre humilité, la richesse notre indigence, l’abondance notre pauvreté ? Qu’étions-nous, si « notre secours n’eût été dans le nom du Seigneur, qui a fait le ciel et la terre ? » Tressaille donc, ô Jérusalem, tressaille, oh ! oui, sois dans la joie d’avoir échappé aux dents des chasseurs. Tressaille à ton tour. Et toi aussi, tu as des dents. « Car tes dents ressemblent à un troupeau de brebis nouvellement tondues ». Toi aussi, tu as des dents, ô sainte Jérusalem, cité de Dieu, église du Christ ; toi aussi, tu as des dents. C’est à toi qu’il est dit dans le Cantique des Cantiques : « Tes dents ressemblent à un troupeau de brebis nouvellement tondues, qui montent du lavoir ; toutes ont deux agneaux, et nulle d’entre elles n’est stérile[2] ». Honneur, honneur à toi, de n’avoir point redouté les dents de Babylone ; ces dents de Babylone étaient les puissants du siècle ; ces dents de Babylone étaient les professeurs de rites criminels. Tu n’as pas été abandonnée à ces dents. Ah ! reconnais tes dents à toi, et fais ce qu’ils ont voulu faire. Change de rôle. Toi aussi, tu as des dents. « Tes dents sont un troupeau de brebis nouvellement tondues ». Qu’est-ce à dire, nouvellement tondues ? Qui ont renoncé aux biens du siècle. Qu’est-ce à dire, nouvellement tondues ? Qui ont rejeté leur toison comme un fardeau du siècle. Tes dents étaient ces hommes dont il est écrit aux Actes des Apôtres[3], qu’ils vendaient leurs biens pour en apporter le prix aux pieds des Apôtres, afin qu’il fût distribué à chacun selon le besoin qu’il en avait s. Tu as donc reçu la toison de tes brebis nouvellement tondues ; et ce troupeau est sorti du lavoir du saint baptême. Tous ont engendré, parce que tous ont accompli les deux préceptes de la charité. Vous le savez, mes frères, il vous en souvient, vous l’avez dit tout haut en gens bien instruits, quand j’ai nommé ces deux préceptes de la charité ; sans les avoir désignés, j’ai trouvé

  1. Psa. 124, 6
  2. Can. 4, 2 ; 6, 5
  3. Act. 4, 35