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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/436

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voyons d’autant plus mauvais qu’ils sont plus ripes, assurément il nous faut chercher d’autres biens qui nous fassent bons. Ce sont les biens que ne peuvent avoir les méchants : la justice, la piété, la tempérance, la religion, la charité, le culte de Dieu, et Dieu enfin. Tel est le bien qu’il nous faut rechercher, et nous ne pourrons l’avoir qu’en méprisant les autres.

4. Est-ce à moi de vous ménager, quand l’Évangile n’a de ménagements ni pour vous, ni pour nous ? Je me borne à exalter votre charité, mes frères, selon cette parole de l’Apôtre : « Le temps est court. Il faut, dès lors, que ceux qui ont des femmes soient comme n’en ayant pas, et ceux qui pleurent, comme ne pleurant point, et ceux qui se réjouissent, comme ne se réjouissant pas, et ceux qui achètent comme n’achetant point, et ceux qui usent des choses de ce monde, comme n’en usant pas[1] ». Les Apôtres donc abandonnèrent tout ce qu’ils possédaient, et de là cette parole de Pierre : « Voilà que nous avons tout abandonné ». Qu’as-tu abandonné, Pierre ? Une barque, un filet ? J’ai abandonné l’univers entier, me répondrait-il, puisque je ne me suis rien réservé. La pauvreté chez tous, c’est-à-dire chez tous les pauvres, n’a que peu de biens, mais elle a de grands désirs. Et Dieu ne regarde pas ce qu’elle possède, mais ce qu’elle désire. C’est notre volonté qui est jugée, et que sonde invisiblement celui qui est invisible. Ils ont donc tout abandonné, et abandonné l’univers entier, parce qu’ils ont renoncé à toute espérance dans ce monde, et qu’ils ont suivi celui qui a créé le monde et cru en ses promesses, ainsi que beaucoup l’ont fait dans la suite. Est-il étonnant, mes frères, que des hommes l’aient fait ? Ceux-là mêmes l’ont fait, qui ont mis à mort le Sauveur. Là, dans Jérusalem, après que le Seigneur fut monté aux cieux, et eut, dix jours après, accompli sa promesse par l’envoi du Saint-Esprit, les disciples, remplis de l’Esprit-Saint, parlèrent les langues de toutes les nations[2]. Alors beaucoup de Juifs qui étaient à Jérusalem, et qui les entendaient, pleins d’admiration poux ces dons de la grâce du Sauveur, et se demandant avec stupeur d’où venait ce prodige, reçurent des Apôtres cette réponse, que celui qui opérait ces prodiges par son Esprit-Saint, était celui-là même qu’ils avaient mis à mort, et demandèrent comment ils pourraient être sauvés. Ils étaient en effet saisis de désespoir, et ne pensaient point qu’ils pussent obtenir le pardon de ce crime énorme, d’avoir mis à mort le Maître de toutes créatures. Or, les Apôtres les consolèrent, leur promirent le pardon, et cette promesse du pardon leur fit embrasser la foi, et devenus d’autant meilleurs qu’ils avaient eu plus de crainte, ils vendaient leurs biens pour en apporter le prix aux pieds des Apôtres. La crainte leur extorqua leurs délices. Voilà ce que firent ceux qui avaient mis à mort le Seigneur ; beaucoup d’autres l’ont fait depuis, et le font encore. Nous le savons, nous en avons des exemples, beaucoup nous donnent cette consolation, beaucoup cette joie, parce que la parole du Seigneur n’est point inutile pour eux, puisqu’ils l’écoutent avec foi. Mais quelques-uns qui n’agirent point ainsi, n’ont-ils pas été éprouvés par la persécution ? Oui, parce qu’ils usaient de ce monde comme n’en usant pas. Non-seulement des hommes du peuple, non-seulement des artisans, non seulement des pauvres, des indigents, des gens médiocres, mais des grands, mais des riches, mais des sénateurs, mais des femmes illustres, en face de la persécution, ont su renoncer à leurs biens, afin d’élever leur tour et de vaincre, par la simplicité du courage et de la piété, la duplicité et les artifices du diable.

5. Jésus-Christ donc, Notre-Seigneur, nous exhortant au martyre, a dit : « De même, celui qui ne renonce point à tout ce qu’il possède, ne saurait être mon disciple ». C’est donc à toi que je m’adresse, ô âme chrétienne ! Si je te répète ce qui fut dit au riche : « Va, et toi aussi vends ce que tu as, et tu posséderas un trésor dans le ciel, puis viens et suis le Christ », t’en iras-tu avec tristesse ? Car le jeune homme de l’Évangile s’en alla triste. Et pourtant, il n’y a que le chrétien pour comprendre ces paroles. Or, pendant qu’on lisait l’Évangile, as-tu bien pu boucher tes oreilles, contrairement à ton salut ? Tu as entendu ceci : « Quiconque ne renonce à tout ce qu’il possède ne saurait être mon disciple[3] ». Réfléchis donc en toi-même : Te voilà devenu fidèle, tu es baptisé, tu as embrassé la foi. Tu n’as pas abandonné tes biens, mais j’en appelle à ta foi. Comment as-tu pu croire ? Voici pour ta foi le danger. On te dit : Si tu persistes, je saisis ton bien.

  1. 1Co. 7, 29-31
  2. Act. 2
  3. Mat. 19, 2