Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/438

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

yeux sont souillés ; ici, les cœurs purifiés ; ici, il y a gloire pour le spectateur, s’il devient imitateur ; là, honte pour le spectateur, et infamie pour l’imitateur. Enfin j’aime les martyrs et je considère les martyrs. Quand on lit les souffrances des martyrs, je regarde. Dis-moi : Sois martyr, c’est un éloge. Pour toi, vois le mime, vois le pantomime ; et je te dirai : Sois semblable, et ne t’en fâche pas. Que si cette parole : Sois semblable, vient à t’irriter, voilà que tu es accusé non par mes paroles, mais par ta colère. Ta colère fait juger de toi-même ; car tu aimes ce que tu redouterais d’être. Le spectacle des saints Machabées, dont nous solennisons aujourd’hui la victoire, nous vient à propos afin de dire un mot à votre charité, au sujet des spectacles du théâtre. O mes frères de Bulla[1] ! dans toutes les villes qui vous environnent, la licence qui règne chez vous consterne la piété. Ne rougissez-vous point d’être les derniers à donner asile à ces vénales turpitudes ? Sur ces marchés romains, dans ces grands encans, où vous achetez le blé, le vin, l’huile, des animaux, du bétail, y a-t-il donc un charme pour vous à trafiquer de la honte, à l’acheter ou à la vendre ? Et quand les étrangers viennent dans ces contrées, pour ces échanges, si on leur disait : Que cherchez-vous ? des mimes ? des prostituées ? vous en trouverez à Bulla ; serait-ce pour vous un honneur, pensez-vous ? Pour moi, je ne vois point de plus grande infamie. Oui, mes frères, c’est la douleur qui me fait parler, mais toutes les villes qui vous environnent vous condamnent et devant les hommes et au jugement de Dieu. Quiconque veut suivre le mal prend exemple sur vous dans notre Hippone, où tout cela est fini depuis longtemps ; c’est de votre ville que l’on nous amène ces infamies. Mais, direz-vous, en cela nous ressemblons à Carthage. 2 y a sans doute à Carthage un peuple saint et religieux, mais la foule est si nombreuse dans cette grande cité, que chacun peut rejeter cela sur les autres. Ce sont des païens, ce sont des Juifs qui agissent ainsi, peut-on dire à Carthage, mais ici il n’y a que des chrétiens, et des chrétiens agissent de la sorte ! C’est avec une douleur bien vive que je vous parle ainsi. Puissiez-vous un jour, en vous corrigeant, guérir la blessure de notre cœur ! Nous le disons à votre charité : Nous connaissons au nom du Seigneur, et votre ville et les villes voisines, nous savons quelle en est la population, quel en est le peuple. Pouvez-vous n’être point connus de celui qui est constitué pour vous dispenser la parole de Dieu et les sacrements ? Qui peut se disculper de cette honte ? Voici des spectacles. Que les chrétiens s’abstiennent, et nous verrons si le vide n’est pas tel, qu’il fera rougir la turpitude elle-même. Voyons si ces personnages infâmes ne finiront point par secouer leurs chaînes pour se tourner vers Dieu, ou abandonner cette ville, s’ils veulent persévérer dans leur honteux métier. Procurez-vous cet honneur, ô chrétiens ; ne hantez plus les théâtres.

8. Mais je ne vous vois ici qu’en petit nombre. ##Rem voici que viendront les jours de la passion du Christ, que viendra Pâques, et ces lieux seront trop étroits pour votre multitude. Ils occuperont donc ces places, ces mêmes hommes qui remplissent aujourd’hui les théâtres ? Ah ! comparez les lieux, et frappez vos poitrines. Vous direz peut-être : s’abstenir, c’est bien pour vous, qui êtes clercs, qui êtes évêques ; mais nous sommes laïques. Quelle justesse voyez-vous donc dans cette excuse ? Eh ! que sommes-nous si vous venez à périr ? Autre est ce que nous sommes pour nous, et autre ce que nous sommes pour vous. C’est pour nous que nous sommes chrétiens, pour vous seulement que nous sommes clercs et évêques. Ce n’est ni aux clercs ni aux évêques, ni aux prêtres que s’adressait l’Apôtre quand il disait : « Vous êtes les membres du Christ[2] » ; c’est à la multitude, c’est aux fidèles, c’est aux chrétiens qu’il disait. « Vous êtes les membres du Christ ». Voyez de quel corps vous êtes les membres, voyez sous quelle tête vous vivez dans l’union d’un même corps. Je reprends donc les paroles de l’Apôtre : « Prendrai-je les membres du Christ, pour en faire les membres d’une prostituée ? » Et nos chrétiens non-seulement aimeront, mais encore établiront des prostituées ? Non-seulement ils aiment celles qui l’étaient, mais ils en font de celles qui ne l’étaient point, comme si ces femmes n’avaient point une âme, comme si le sang du Christ n’eût pas été répandu pour elles, comme s’il n’était pas dit : « Les prostituées et les publicains entreront avant vous dans le royaume

  1. Bulla, ville située entre Hipponne et Carthage.
  2. 1Co. 6, 15