Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/447

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main gauche en ait un aussi. Est-ce que cette dernière est tout à fait sans ornement ? Vois chacune des mains, et tu verras un anneau à l’une, rien à l’autre. Vois l’enchaînement des parties du corps, parmi lesquelles ces deux mains, et vois que l’une, qui n’a pas d’anneau, en a un néanmoins dans celle qui l’a. Tes yeux voient où l’on va ; tes pieds vont où voient tes yeux, et néanmoins tes pieds ne sauraient voir, ni tes yeux marcher. Mais le pied te répond : J’ai la lumière, non pas en moi, mais dans l’œil. Car l’œil ne voit pas pour lui seul ; il voit pour moi. Les yeux disent à leur tour : Nous marchons, non par nous-mêmes, mais bien par les pieds ; car les pieds ne se portent point seuls, mais nous avec eux. Donc chacun des membres agit selon la faculté qui lui est départie, et selon que l’esprit le dirige. Toutefois ces membres constitués en un même corps et tenant à l’unité sans s’arroger pour chacun d’eux ce qu’ont les autres membres, et qu’ils n’ont point, ne se regardent point comme frustrés de ce qui est dans un même corps, et dont ils jouissent également. Enfin, mes frères, qu’un membre du corps vienne à souffrir, quel autre membre lui refusera son secours ? Dans l’homme, quoi de plus éloigné que le pied, et dans le pied quoi de plus éloigné que la plante ? Et dans cette plante, quoi de plus éloigné que la peau qui foule la terre ? Et toutefois cette extrémité de tout le corps tient si bien à l’unité, que si une épine la vient meurtrir quelque part, tous les membres viennent à son secours pour arracher, cette épine. Les jarrets se plient à l’instant, on courbe l’épine, non pas celle qui a meurtri le pied, mais celle qui soutient notre dos ; on s’assied afin d’arracher l’épine maudite. Mais s’asseoir pour en agir ainsi, c’est l’œuvre de tout le corps. Combien est rétréci l’endroit qui souffre ! C’est un endroit bien étroit que celui qu’une épine peut meurtrir, et à cette extrémité ; et néanmoins tout le corps ne dédaigne pas de soulager une souffrance dans un endroit si restreint. Les autres membres, sans souffrir en eux-mêmes, souffrent néanmoins dans cet unique endroit. De là vient que l’Apôtre a pris là un exemple de charité, en nous exhortant à nous aimer, les uns les autres, de cet amour qui est entre les membres d’un même corps. « Si quelque membre vient à souffrir », nous dit-il, « tous les autres souffrent en lui ; et si un membre reçoit de l’honneur, tous les autres se réjouissent en lui. Vous êtes le corps du Christ et ses membres[1] ». S’il y a de l’amour entre ces membres qui ont leur chef sur la terre, comment se doivent aimer des membres qui ont leur chef dans le ciel ? Assurément, ils ne s’aiment point eux-mêmes, s’ils sont abandonnés de leur chef. Mais ce chef, vraiment chef, est élevé en gloire, est placé à la droite de Dieu, dans le ciel, de manière, néanmoins, à souffrir sur la terre, non en lui-même, mais dans ses membres, au point de dire au dernier jour : « J’ai eu faim, j’ai eu soif, j’ai été étranger » ; et quand on lui demandera : « Quand est-ce que nous vous avons vu avoir faim ou soit ? » il semblera répondre : Pour moi je suis la tête et j’étais dans le ciel, mais sur la terre mes membres avaient soif ; il ajoutera enfin : « Ce que vous avez fait au moindre des miens, c’est à moi que vous l’avez fait » ; et à ceux qui ne l’auront point soulagé : « N’avoir rien fait pour le moindre des miens, c’est n’avoir rien fait pour moi ?[2] » Ce n’est donc que par la charité que l’on s’unit à un tel chef.

6. Nous voyons en effet, mes frères, que dans nos membres chacun a un office qui lui est propre : c’est à l’œil de voir, et non d’agir ; à la main, au contraire, d’agir et non de voir ; à l’oreille, d’entendre, sans voir et sans agir ; à la langue, de parler sans entendre et sans voir ; et, bien que chacun de ces membres ait son office à part, ils n’en forment pas moins un seul et même corps, ayant quelque chose de commun à tous. Les offices sont divers, la santé est la même. La charité sera donc pour les membres du Christ ce qu’est la santé aux membres du corps humain : L’œil occupe la plus haute place, l’endroit le plus éminent ; il est placé à dessein dans une citadelle, d’où il peut découvrir, voir et montrer. L’œil a l’honneur d’occuper un lieu plus élevé, d’être un sens plus vif, d’avoir une agilité, une certaine force qu’on ne retrouve point dans les autres sens. Aussi la plupart des hommes jurent-ils par leurs yeux, plutôt que par tout autre membre. Nul ne dit à un autre : Je t’aime comme mes oreilles ; quoique le sens de l’ouïe soit presque égal à celui des yeux, et tout rapproché. Que dirai-je des autres ? Chaque jour on dit : Je t’aime comme mes yeux. Et l’apôtre saint Paul témoigne

  1. 1Co. 12, 26
  2. Mat. 25, 35-45