Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/526

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et tu ne te redresses non plus que le fer durci ? Mais, parce qu’il faut un châtiment, le Seigneur notre Dieu est-il sans pardon, puisque nous lui disons avec foi : Remettez-nous nos dettes ? Et quoiqu’il nous les remette, qu’est-il dit de lui ? qu’est-il écrit de lui ? « Le Seigneur châtie celui qu’il aime » n’est-ce peut-être qu’en paroles ? « Il frappe de verges tous ceux qu’il reçoit parmi ses enfants[1] ? » Le fils pécheur n’aura-t-il pas besoin d’être flagellé, quand lui, le Fils unique de Dieu, et sans péché, a daigné subir la flagellation ? Inflige donc le châtiment, et néanmoins bannis la colère de ton cœur. C’est ainsi qu’en agit en effet le Seigneur, à l’égard de ce débiteur sur qui il fit retomber toute sa dette, parce qu’il s’était conduit sans pitié envers son compagnon : « Ainsi », dit-il, « se conduira à votre égard votre Père céleste, si chacun de vous ne pardonne à son frère du fond du cœur [2] ». Pardonne où Dieu te voit, et pour cela ne néglige point la charité ; exerce une sévérité salutaire ; aime et redresse, aime et frappe. Quelquefois ta douceur est cruauté. Comment douceur est-elle cruauté ? parce que tu ne reproches point le péché, et que le péché tuera celui que tu épargnes dans ta charité cruelle. Que ta parole soit tantôt sévère, et tantôt dure. Ce qu’elle blessera, vois ce qu’il doit produire à son tour. Le péché dévaste le cœur, porte ses ravages au-dedans de nous-mêmes, il étouffe l’âme, il la perd ; frappe alors par pitié. Afin de mieux comprendre, mes frères, tout ce que je veux dire, représentez-vous deux hommes ; un jeune étourdi vient s’asseoir sur le gazon où ils savent qu’un serpent est caché ; s’y asseoir, c’est être mordu, c’est mourir. Ces deux hommes le savent. L’un dit : Ne t’assieds point là, et on le méprise. L’étourdi va s’asseoir, il va périr. L’autre dit. 2 ne veut point nous écouter, il faut le corriger, le retenir, l’enlever de force, le souffleter, en un mot faire tout ce qui sera possible pour l’empêcher de périr. Tandis que l’autre : Laissez-le faire, ne le frappez point, ne lui faites rien, ne le blessez point. Qui des deux agit avec miséricorde, ou l’homme qui laisse faire et mourir, ou l’homme qui sévit pour arracher à la mort ? Comprenez dès lors ce que vous devez faire à l’égard de ceux qui vous sont soumis, maintenez les bonnes mœurs par la discipline ; et toutefois, soyez bienveillants, pardonnez du fond du cœur ; qu’il n’y ait nulle colère dans votre intérieur, parce que cette colère n’est d’abord qu’un fétu très mince et en quelque sorte méprisable. Une colère nouvelle trouble l’œil, comme le ferait une paille : « Mon œil a été troublé par la colère[3] ». Cette paille s’alimente parles soupçons, se fortifie avec le temps, et bientôt elle deviendra une poutre. Une colère invétérée sera une haine ; et après la haine viendra l’homicide : « Quiconque hait son père est homicide », est-il dit. Or, quelquefois des hommes qui nourrissent de la haine dans leur cœur réprimandent ceux qui se mettent en colère ; comment tu nourris de la haine, et tu reprends celui qui se fâche ? « Tu vois une paille dans l’œil de ton frère, et tu ne vois pas une poutre qui est dans le tien[4] ? » Finissons ce discours, mes frères, en invoquant le Seigneur, afin qu’il daigne nous accorder ce qu’il nous ordonne de faire : « Pardonnez, et il vous sera pardonné ; donnez, et il vous sera donné[5] ».

  1. Heb. 12, 6
  2. Mat. 18, 35
  3. Psa. 6, 8
  4. Mat. 7, 3
  5. Luc. 6, 37-38