Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/549

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sa mobilité, mais un terrain vraiment solide ; car, pendant que le Sauveur marchait sur les eaux, l’élément placé sous ses pieds lui était si docile, qu’il ne s’écartait nullement de sa personne, et ne touchait pas même et respectait la plante de ses pieds. Mes bien-aimés, il n’y a rien de surprenant à ce que les flots se soient montrés à tel point soumis au Christ, puisqu’ils dépendent entièrement de sa puissance et de son bon plaisir. À lui seul appartenait le droit de marcher sur les eaux à pieds secs, et la faiblesse de la raison humaine exigeait que le vent et la pluie vinssent jeter Pierre dans le désarroi. Si donc il enfonça en partie dans l’eau, ce fut pour empêcher toute différence entre Dieu et l’homme de disparaître ; s’ils avaient vu l’Apôtre marcher sur la mer comme le Christ, les hommes auraient conçu les doutes les plus graves à l’égard du Sauveur, et ils n’auraient plus rendu à Dieu l’honneur qu’ils lui doivent ; car il n’y eût plus eu merveille à voir faire à Dieu ce qu’aurait fait l’un d’entre eux.
2. Nous sommes en ce monde comme sur une sorte de mer, puisque nous nous y trouvons exposés aux tempêtes que soulèvent nos passions : Mettons donc tous nos soins à éviter le naufrage ; tenons-nous fermes et solides sur les pieds de notre foi, afin de ne point tomber, de ne point nous engloutir dans les abîmes de ce monde que Notre-Seigneur Jésus-Christ a foulé aux pieds par la vertu de son Incarnation. Si quelque tentation vient à fondre sur nous et à nous jeter dans le danger de périr, crions comme les Apôtres ; comme eux, disons au Christ : « Seigneur, sauvez-nous, parce que nous périssons[1] ». Ne vaut-il pas mieux, pour nous, appeler Dieu à notre secours et nous voir délivrer, que nous déguiser le danger, ne pas prier et nous exposer ainsi à mourir. Mais revenons-en à ce que nous disions tout à l’heure : Quel champ libre ouvert à l’orgueil de l’homme, s’il commençait à posséder une puissance égale à celle de Dieu ! L’Apôtre Pierre s’enfonçant dans les flots, nous a semblé manquer de foi, pour nous apprendre que nous ne devons nous attribuer à nous-mêmes aucun mérite, mais que nous devons rapporter à la puissance divine tout le bien que nous faisons.
3. Il est juste et convenable, mes frères, que nous partagions nos joies avec les saints Apôtres et que nous fassions part de la glorieuse résurrection du Sauveur à ceux qui partagent ses suprêmes souffrances. Celui que le Christ a daigné choisir comme un vase d’élection et donner aux nations comme leur docteur, ne se contentait pas de détourner des devoirs de la piété les âmes des fidèles ; il allait jusqu’à lapider les disciples qui ne voulaient point se séparer de leur Dieu. Le Sauveur nous l’a donné pour Apôtre : de Saut il a fait Paul ; d’apostat, celui-ci s’est changé en Apôtre, et de persécuteur de l’Église, il en est devenu le docteur. Après avoir fait endurer aux autres la persécution, il s’est pris d’amour pour les souffrances et, après avoir mis sa joie à voir souffrir les autres, il a mis son bonheur à souffrir lui-même, Le Dieu, qui a jadis opéré ce prodige de puissance dans la personne de l’Apôtre, vient d’arracher nos âmes de la prison de l’enfer, de la gueule des démons, et après nous avoir fait passer des ténèbres à la lumière, il nous a ouvert les portes de la vie éternelle. C’est là l’effet de la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ : à lui soient l’honneur, la louange et la gloire pendant les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

  1. Mat. 14, 29