Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/596

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milice sacrée ; mais ce que c’est que le combat spirituel, tu n’en sais pas le premier mot ? Pour ceux qui tendent à la perfection, il faut, autant que possible, leur persuader de conserver une sévérité salutaire, et d’apprendre plutôt à ignorer le vice qu’à le vaincre. Puissent ces hommes, qui font profession d’être morts avec le Christ, éprouver une véritable honte d’avoir encore à dompter les mouvements rebelles de la chair et les passions effrénées de l’esprit, contre lesquelles il faut lutter comme si l’on se trouvait toujours au début du combat ! Autrement, quand ils auraient déjà acquis, par leur valeur, le droit de se reposer, ils se retrouveraient encore dans les rangs de ceux qui commencent seulement à exercer le métier des armes. Lorsqu’un soldat du Christ est encore novice, il doit donc apprendre à en venir aux mains, et, suivant l’occasion, s’opposer à tous les vices qui pourraient se manifester en lui. Qu’il soit donc prévoyant, qu’il porte de tous côtés les regards éveillés d’une attentive circonspection, qu’il se tourne de çà de là et oppose à tous les traits qu’on lui envoie le bouclier d’une habile défense ; c’est ainsi que, par l’humilité, il viendra à bout de l’orgueil, qu’il réfrénera la gourmandise par la sobriété, qu’il écrasera la colère parla douceur, qu’il domptera l’avarice par ses largesses, que la crainte du feu éternel éteindra l’ardeur de ses passions honteuses, et qu’enfin la poutre de la haine sera consumée par la flamme de son ardente charité. Il se plaît à contempler une pareille lutte, le Dieu qui sonde les profondeurs de l’âme et à qui rien n’échappe de ce qui s’y passe. Ce spectacle réjouit aussi les anges, puisque la nature humaine profite des combats qui se livrent contre elle, pour devenir meilleure et rentrer avec eux dans cette société dont elle avait été exclue ; puisqu’en luttant, elle tend à rentrer en possession de cette paix véritable qu’elle avait perdue jadis pur s’être écoutée et n’avoir pas résisté à ses convoitises.
6. Mes frères, ne nous plaignons point de ce qu’il ne suffit pas de nos désirs pour remporter immédiatement une victoire complète sur nos ennemis : ne nous chagrinons nullement de nous voir toujours en butte aux chagrins, aux peines, aux soucis et aux insupportables ennuis qu’engendrent de continuelles fluctuations d’esprit. En cela se voit la preuve de l’action providentielle de Dieu ; une victoire remportée trop vite gonflerait d’orgueil notre âme ; tombant des hauteurs où elle se serait élevée, elle ne ferait qu’une plus lourda chute, et elle attribuerait l’honneur de son triomphe non à Dieu, son véritable auteur, mais uniquement à elle-même. Telle est la raison de ces paroles adressées par Moïse au peuple juif : « Après t’avoir éprouvé et puni, le Seigneur a pris enfin pitié de toi, afin que tu ne dises point dans ton cœur : Ma puissance et la force de mon bras m’ont donné tous ces biens, mais pour que tu te souviennes que le Seigneur, ton Dieu, t’a lui-même donné toute ta force ». Voilà aussi pourquoi il arrive souvent qu’une âme, après avoir remporté sur elle-même de grandes et nombreuses victoires, cède en face d’un obstacle, peut-être de minime importance, bien qu’elle ne néglige point les précautions d’une vigilance minutieuse : c’est là l’effet d’une disposition de la Providence ; car un homme, brillant de l’éclat de toutes les vertus, se laisserait aller à l’enflure de l’orgueil ; se voyant, au contraire, et malgré ses longs efforts, au-dessous d’une mince tentation, après en avoir victorieusement supporté de très-violentes, il attribue son triomphe, non pas à lui-même, mais au Dieu dont la grâce l’a aidé à dominer les ennemis qu’il a vaincus. Voilà pourquoi il est écrit : « Telles sont les nations que le Seigneur a laissé subsister, afin de s’en servir pour l’instruction d’Israël[1] ». Israël est instruit par les nations qui n’ont point péri ; et aussi, par les faibles tentations qui lui font échec, notre âme apprend que, d’elle-même, elle n’est jamais venue à bout des plus grandes.
7. Frères bien-aimés, ce qui nous a principalement décidés à quitter le monde, ce qui doit fixer toute notre attention, puisque nous avons le bonheur d’appartenir à la sainte milice, le voici : Notre âme, revêtue de l’armure des vertus, doit s’exercer toujours au combat spirituel et tâcher d’en finir avec ces vices hideux qui rôdent sans cesse autour de nous pour nous corrompre ; employons à cette lutte toute l’ardeur dont nous sommes capables. De quel avantage aurait-il été aux Juifs de sortir de la terre d’Égypte et de s’en tenir là, sans pouvoir écraser la puissance de leurs ennemis dans une guerre d’extermination ? Auraient-ils ensuite joui paisiblement de la

  1. Deu. 8, 16-18