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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/618

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soit de nature à le froisser et à le déconcerter dans sa résolution généreuse. Le Seigneur lui répond seulement que les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel des nids pour se reposer, mais que le Fils de l’homme n’a pas un endroit quelconque où il puisse appuyer sa tête. Et quand un autre disciple vient demander qu’on lui laisse le temps d’aller ensevelir son père, nous voyons que cette faveur lui est refusée et qu’il ne lui est pas permis de remplir ce devoir de piété filiale. Il nous faut donc faire connaître ici la raison de ces choses si sublimes et si diverses ; et, en respectant scrupuleusement l’ordre du texte sacré, donner une explication qui soit en même temps conforme à la plus rigoureuse vérité et propre à donner une intelligence claire et précise de ce qu’il y a de plus profond dans ces passages. Il faut d’abord considérer que le mot disciples ne désigne pas seulement les douze Apôtres. Car, outre ceux-ci, il y avait un grand nombre de disciples, d’après la teneur même du texte évangélique. Il semble donc que, parmi toute cette multitude, le Seigneur fait un certain choix, savoir, de ceux qui devaient le suivre au milieu des périls et des épreuves sans nombre de la vie présente. L’Église, en effet, ressemble à un vaisseau (et c’est le nom qu’on lui donne en plusieurs endroits) ; elle ressemble, dis-je, à un vaisseau qui, chargé de passagers des races et des nations les plus diverses, vogue au milieu des gouffres, exposé à la fureur des vents et des tempêtes, toujours à la veille de se voir inopinément englouti : tel est le sort de l’Église au milieu de ce monde, où elle est de plus en butte aux incursions des esprits impurs. Quand nous entrons dans ce vaisseau, c’est-à-dire dans le sein de l’Église, nous n’ignorons pas les écueils et les périls sans nombre auxquels nous allons être exposés, nous savons parfaitement jusqu’où peut aller la fureur de la mer et des vents que nous affrontons. Afin donc de rendre tout à fait facile et rationnelle l’interprétation allégorique de ces faits, le Seigneur rapproche ici la conduite du scribe et celle du disciple, ce dernier figurant les fidèles qui montent sur le vaisseau, et le premier figurant la multitude des infidèles qui restent sur le rivage.

4. Et d’abord le scribe, en d’autres termes un des docteurs de la loi, demande s’il doit suivre, comme s’il croyait n’être pas réellement en présence du Christ auquel il reconnaît qu’il est utile de s’attacher. Son interrogation, bien qu’elle lui soit inspirée par la défiance, n’en est pas moins un hommage rendu à la fidélité des croyants ; mais pour embrasser la foi, il ne faut pas interroger, il faut suivre. Et pour que cette interrogation si contraire à la simplicité de la foi reçoive le juste châtiment qu’elle mérite, le Seigneur répond que les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel des nids où ils peuvent se reposer ; mais que le Fils de l’homme n’a pas même un endroit où il puisse appuyer sa tête. Le renard est un animal plein de fourberie, se cachant dans les tanières creusées par lui autour des maisons, et toujours occupé à surprendre les oiseaux domestiques : nous avons vu quelque part les faux prophètes désignés sous ce nom. Nous savons aussi que très-souvent, sous le nom d’oiseaux du ciel, on entend désigner les esprits immondes. Le Fils de Dieu, voulant donc confondre la multitude de ceux qui ne le suivaient point, et en particulier ce docteur de la loi qui lui demandait, dans un esprit de défiance, s’il pouvait le suivre, le Fils de Dieu répond sur le ton du reproche que les faux prophètes mêmes ont des tanières et les esprits immondes des nids pour se reposer ; en d’autres termes, que ceux qui sont restés hors du vaisseau, c’est-à-dire ceux qui ne sont point entrés dans le sein de l’Église, sont devenus de faux prophètes et des réceptacles de démons ; que le Fils de l’homme, au contraire, c’est-à-dire celui qui a Dieu pour chef, ne trouve pas un endroit où il puisse se reposer après y avoir apporté la connaissance de Dieu : tous ont été invités, mais un petit nombre suivront, montant courageusement dans ce vaisseau de l’Église, exposé aux flots tumultueux de la mer de ce siècle.

5. Vient ensuite un disciple qui n’interroge pas pour savoir s’il doit suivre ; car il croit fermement que tel est son devoir, mais qui demande seulement la permission d’aller ensevelir son père. L’auteur même de l’Oraison dominicale nous a appris à commencer ainsi notre prière : « Notre Père, qui êtes aux a cieux[1] ». Le peuple croyant est donc, dans la personne de ce disciple, averti de se souvenir toujours qu’il a dans les cieux un Père

  1. Mat. 4, 9