Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/630

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n’a point donné son bien propre est envoyé au feu, où sera envoyé, dites-moi, celui qui aura ravi le bien d’autrui ? Si celui qui n’a point vêtu son frère nu doit brûler avec le démon, avec qui, je vous prie, brûlera celui qui l’aura dépouillé ? C’est pourquoi toutes les fois que vous entendrez lire ces paroles de l’Évangile : « Malheur aux personnes qui seront enceintes et à celles qui nourriront en ces jours[1] », vous devrez croire qu’elles ne s’appliquent point aux femmes qui portent dans leur sein un fruit légitime. Quel mal, en effet, a pu commettre une femme, en tant qu’elle a eu des rapports avec son mari ? Comment pourra-t-elle être châtiée au jour du jugement, pour avoir fait ce que Dieu lui commandait de faire ? Ces menaces donc ne s’appliquent pas aux femmes qui conçoivent et qui enfantent légitimement, mais à ceux qui, comme nous venons de l’expliquer tout à l’heure, conçoivent injustement le bien du prochain et semblent être dans un état de grossesse déshonnête. C’est de ceux-là qu’il est dit ailleurs : « Il a conçu la douleur et il a enfanté l’iniquité[2] ». Tout homme, en effet, conçoit et nul ne saurait ne pas concevoir ; mais les uns conçoivent du Christ, et les autres conçoivent du démon. De même qu’il est dit de ces derniers : « Il a conçu la douleur et il a enfanté l’iniquité », de même aussi il est dit de ceux qui conçoivent du Saint-Esprit : « Votre crainte nous a fait concevoir dans notre sein, et nous avons enfanté l’Esprit de votre salut[3] ».

4. Que celui donc, mes frères bien-aimés, qui après un examen attentif reconnaît que les maux dont nous venons de parler ont existé ou peut-être existent encore en lui-même, que celui-là se corrige bien vite ; les maux passés cessent de nuire dès qu’ils cessent de plaire ; il est encore temps de se repentir et de se corriger ; la séparation des uns à droite et des autres à gauche n’a point encore été faite ; nous ne sommes point encore dans les enfers avec ce riche torturé par la soif et soupirant après une goutte d’eau. Écoutons, tant que nous vivons ; corrigeons-nous. Ne convoitons point les biens d’autrui, ne nous laissons point enfler par l’espoir de les posséder, ne cherchons point à nous en rendre les maîtres, et quand ils nous arrivent, ne les embrassons point comme une mère embrasse ses enfants. Quand un homme convoite le bien d’autrui, ainsi que nous l’avons déjà dit, il semble que son âme a conçu ; mais dès que, par fourberie ou par violence, il a réussi à s’emparer de ce qu’il convoitait, on le voit embrasser sa propriété nouvelle et la presser sur son cœur comme un enfant nouveau-né. Donc, mes frères, n’aimons point les choses de la terre de telle sorte que nous perdions les choses du ciel. C’est notre cœur qu’il faut changer ; n’habitons plus désormais ici-bas par notre cœur et par nos affections : c’est une mauvaise région que la région de l’amour du monde ; qu’il nous suffise de paraître seulement vivre dans cette chair mortelle. Écoutons ces paroles de l’Apôtre : « Si vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ, recherchez les choses d’en haut, non point les choses qui sont sur la terre[4] ». Les biens qui nous sont promis ne paraissent point encore ; ils sont préparés, mais on ne les voit point. Vous voulez absolument convoiter et concevoir ; concevez donc en convoitant la vie éternelle à laquelle Dieu vous convie ; que cette vie soit l’unique objet de votre espérance ; votre enfantement sera assuré ; il ne s’accomplira point avant le temps et d’une manière infructueuse ; vous n’embrasserez point dans le temps ce que vous aurez enfanté, mais vous le posséderez éternellement. Car ce qui a été promis sera donné infailliblement ; mais le moment n’est pas encore venu ; cela sera donné plus tard, non pas maintenant.

5. Voyez combien de choses ont été déjà données, mes frères ; qui pourrait seulement les compter ? De tous lesbiens qui nous ont été promis dans les Écritures, un seul n’a pas encore été accordé ; or, si Dieu a exécuté fidèlement tant d’autres promesses qu’il vous avait faites, il ne vous trompera point dans celle que le moment n’est point encore venu d’accomplir. L’Écriture avait annoncé l’établissement d’une Église, et nous voyons que cette Église existe ; l’Écriture avait annoncé que les idoles cesseraient de recevoir les adorations et les hommages des peuples, et nous voyons ces idoles renversées et détruites. Il était écrit que les Juifs perdraient leur autonomie politique, et nous voyons le sceptre de Juda passé en des mains étrangères. L’Écriture parle également du jour du jugement ; elle parle des récompenses réservées aux saints et des châtiments qui attendent les

  1. Mat. 24, 19
  2. Psa. 7, 16
  3. Isa. 26, 18
  4. Col. 3, 1