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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/669

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6. Mais de quels riches parlons-nous ? C’est ce qu’il s’agit de savoir. Quelqu’un (je ne sais qui) se trouve n’avoir, pour vêtement, que des haillons ; quand il a entendu dire qu’un riche ne peut entrer dans le royaume des cieux, il a tressailli de joie, s’est mis à rire, et a dit : Moi, j’y entrerai ; mes haillons m’y donnent droit. Ils n’y entreront pas ces hommes qui nous font tort et nous pressurent. Oh1 sois-en sûr, de telles gens n’y seront pas admis. Mais, toi, qui es pauvre, vois si tu y auras toi-même une place. À quoi te servira ta pauvreté, si tu es cupide ? A quoi te servira d’être éprouvé par l’indigence, si tu brûles du feu de l’avarice ? Qui que tu sois, ô pauvre, si tu es indigent, c’est malgré toi ; et si tu n’es pas riche, c’est que tu n’as pu le devenir. Dieu ne regarde pas tant à tes facultés qu’à tes désirs. Si ta conduite est mauvaise, si tes mœurs sont dépravées, si tu es un blasphémateur, un adultère, un ivrogne, retire-toi, car tu n’es pas un pauvre de Dieu jamais on ne te verra parmi ceux dont il a été dit : « Bienheureux les pauvres d’esprit, parce que le royaume des cieux est à eux[1] ». Mais voilà que je rencontre un riche ; en te comparant à lui, tu as cru que tu lui étais préférable, et tu n’as pas craint d’aspirer à son exclusion du royaume des cieux ! En lui je vois un pauvre d’esprit, c’est-à-dire un homme humble, pieux, de mœurs pures, ennemi du blasphème, soumis à la volonté de Dieu ; s’il vient à souffrir du dommage en quelqu’un des biens qu’il possède ici-bas, aussitôt il s’écrie : « Dieu a donné, Dieu a ôté ; comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait ; que le nom du Seigneur soit béni dans tous les siècles[2] ». Voilà donc un riche doux, humble, qui ne résiste point, qui ne murmure pas, qui observe les lois divines, et dont l’espérance d’entrer dans la terre des vivants fait tout le bonheur ; car, « bienheureux les doux, parce qu’ils posséderont la terre[3] ». Pour toi, qui es pauvre, tu es peut-être non moins orgueilleux. Le riche qui est humble, je le loue ; est-ce que je ne : loue point le pauvre qui possède l’humilité ? Le pauvre n’a rien qui puisse lui inspirer de l’orgueil : le riche, au contraire, a mille sujets de lutter contre le mal ; celui-ci, oui, le riche entrera, plutôt que toi, dans le ciel, et le royaume céleste sera fermé pour toi, parce qu’il sera fermé pour les impies, pour les orgueilleux, pour les blasphémateurs, pour les adultères, pour les ivrognes, pour les avares. Quiconque croit aux promesses du Christ, possède les titres d’une solide créance. Le riche humble, humain, fidèle, a répondu ceci : Dieu sait que je ne suis pas orgueilleux ; s’il m’arrive de crier, de parler durement, Dieu connaît mes intentions ; je ne profère de tels discours que par nécessité et pour me faire obéir ; mais jamais je ne me croirai, pour cela, au-dessus des autres. Dieu voit ce que je pense et, aussi, ce que je fais. Car les riches amis des bonnes œuvres donnent facilement et partagent avec ceux qui n’ont pas. L’humilité se montre à être riche et humble en même temps. Tu te montres bon et charitable ; et, par là même, tu te prépares une fondation solide pour l’avenir, tu le ménages d’incontestables droits pour la vraie et heureuse vie ; si tels sont les riches, qu’ils soient tranquilles pour le temps où viendra le dernier jour. Qu’on les trouve dans l’arche, et ils entreront dans l’édifice de la Jérusalem céleste. Le déluge ne sera point pour eux ; que leur qualité de riches ne leur inspire aucune crainte. Si, maintenant, il est question d’un jeune homme qui ne se sente pas de force à garder la continence, il peut se marier ; mais parce que « le temps est court, il faut que ceux mêmes, qui ont des femmes, soient comme s’ils n’en avaient point ; ceux qui achètent, comme s’ils n’achetaient point ; ceux qui pleurent, comme s’ils ne pleuraient point ; ceux qui se réjouissent, comme s’ils ne se réjouissaient point ; ceux qui usent des choses de ce monde, comme s’ils n’en usaient point ; car la figure de ce monde passe[4] ».

7. Mes frères, j’entends quelqu’un murmurer contre Dieu : Les mauvais moments, dit-il ! que les temps sont durs ! quelle époque difficile à traverser ! Hé quoi ! on donne des spectacles et l’on ose dire que les temps sont durs ! O homme qui ne te corriges point, n’es-tu pas mille fois plus dur que le temps où nous vivons ? Quelle aveugle folie entraîne encore au luxe ! Comme on soupire après la vanité ! Comme la cupidité reste toujours insatiable ! Aussi, que de maladies de l’âme sortent de tout cela ! Quel redoublement de luxure occasionné par les théâtres,

  1. Mat. 5, 2
  2. Job. 1, 21.
  3. Mat. 5, 4
  4. 1Co. 7, 29-31.