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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/719

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Seigneur ait pénétré en des lieux fermés sans en briser les portes, nous en avons un exemple. Voici, en effet, ce que nous lisons ans l’Évangile : Quand les Apôtres se tenaient enfermés dans le Cénacle, et que, par crainte des Juifs, ils en gardaient les portes closes, Jésus-Christ se trouva subitement au milieu d’eux, et, néanmoins, pour pénétrer dans la salle de leur réunion, il n’avait pas seulement entre-bâillé les portes. S’il a pénétré à travers une épaisse et solide charpente, sans même en ébranler l’ouverture, à bien plus forte raison a-t-il pu, en traversant la subtile nature d’un corps ouvert, entrer et sortir sans porter atteinte à l’intégrité des membres ?

2. Nous avons d’abord parlé du fait et des merveilles de la nativité du Seigneur ; puis, entre autres prodiges opérés par lui, nous vous avons signalé celui-ci, à savoir qu’avec cinq pains et deux poissons il a nourri plus de cinq mille personnes, et qu’après un repas copieux, il y a eu plus de restes qu’on n’avait apporté de provisions. Nous ne pouvons maintenant passer sous silence un autre fait que beaucoup supposent avoir eu lieu aujourd’hui-; nous voulons parler de la circonstance où le Sauveur a changé de l’eau en vin alors, l’odeur, le goût et la couleur d’une substance simple et commune se sont trouvés tout à coup métamorphosés. À cette vue le ministre du festin se perd au milieu de ses urnes, c’est-à-dire que, s’il les reconnaît, il ne reconnaît plus leur contenu. Il a puisé une chose à la fontaine, et dans ses vases il en trouve, une autre : de là, grand sujet d’étonnement pour lui. En versant le liquidé, il s’aperçoit que l’eau toute limpide a pris une teinte rouge ; il demeure interdit, stupéfait, et parée qu’Il verse à boire, il s’imagine que ses yeux le trompent. Pour écarter toute idée d’ivresse, il aime mieux croire que ses yeux le trompent, et il en appelle aux sens. Il en verse donc dans un verre et le porte à l’intendant ; celui-ci le goûte, appelle l’époux, lui adresse de vifs reproches, lui demande comment il se fait qu’on ait gardé si longtemps le bon vin, et qu’à l’encontre de l’usage adopté pour les festins, on ait bu d’abord le mauvais vin, pour boire le meilleur seulement à la fin. Le trouble se répand alors parmi tous les convives ; les servants ont perdu leur eau ; l’intendant ne connaît plus rien à son vin : l’un réclame ce qu’il a puisé à la fontaine, l’autre redemande ce qu’on a bu, ne comprenant pas que du vin improvisé par la bénédiction du Christ soit meilleur que du vin naturel. Voilà donc, suivant l’opinion commune, le prodige opéré en ce jour par le Sauveur ; selon la nôtre, le Sauveur a été baptisé aujourd’hui dans le Jourdain.

3. Remarquons-le néanmoins : ces deux opinions peuvent se concilier ensemble. Car, en un sens, il y a eu changement d’eau en vin, quand Peau du Jourdain a été sanctifiée, et, par là même, transformée ; quand de l’eau, jusqu’alors simplement naturelle, a gagné de la valeur à être bénite par le Christ, et acquis la propriété, non-seulement de laver les corps, mais aussi de purifier les âmes. Comme, en effet, le vin « réjouit le cœur de l’homme[1] », lorsqu’on le boit, et qu’il débarrasse de toute inquiétude ; de même la grâce du baptême réjouit la conscience de l’homme, quand on la reçoit, et elle la délivre de la crainte de n’importe quelle tentation. C’est de ce vin tout spécial que parlait le Prophète quand il disait : « Le vin a rempli de joie ses yeux ». Le changement de l’eau en vin s’opère donc lorsque les péchés font place à la justice. L’eau, dis-je, se change en vin, quand le baptême, où nous puisons l’immortalité, communique une autre couleur à l’eau froide du péché qui donne la mort, quand les vases de nos corps, auparavant hideux à voir ou remplis d’une odeur infecte, reçoivent un nouveau goût et une odeur nouvelle. Que dans les chrétiens se trouve une bonne odeur, l’Apôtre le dit expressément : « Nous sommes, devant Dieu, la bonne odeur de Jésus-Christ[2] », si, du moins, nous aimons le Seigneur.

  1. Psa. 103, 15
  2. 2Co. 2, 13