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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XI.djvu/733

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avec vous les premiers passages de la leçon que vous venez d’entendre : « Le Seigneur était à table avec ses douze disciples ; et, comme ils mangeaient, il leur dit : Je vous le dis en vérité, l’un de vous me trahira ; et ils furent contristés, et chacun d’eux commença à lui dire : Est-ce moi, Seigneur [1]? » Heureux Apôtres ! vous vous chagrinez parce que vous êtes innocents, mais votre sort est plus digne d’envie que celui de Judas ; car si son audace l’empêche de rougir, elle sera exemplairement punie ; ne savez-vous pas, en effet, que jamais vous n’avez formé contre le Sauveur un pareil projet ? Vous vous tenez en garde contre votre propre fragilité, aussi vous devenez tristes et vous questionnez votre Maître sur une faute que votre conscience ne vous reproche pas. Mais vous en croyez plus à lui qu’à vous. Vous supposez que l’accusation portée an milieu de ce repas tombe sur vous, et Judas ne veut point sentir le trait qui vient de le frapper. Vous tombez dans l’épouvante, rien qu’à entendre cette accusation, et celui qui a conçu un tel crime demeure paisible. Consultez donc votre Seigneur, interrogez votre bon Maître. Il est la vérité même, il prévoit tout ; qu’il vous réponde. Oui, qu’il désigne l’abominable personnage, et que l’accusation ne pèse plus sur tous, qu’il vous indique celui que vous devez fuir. Qu’il nomme hautement le fils de perdition, afin que l’assemblée, malgré son innocence, ne reste pas sous le poids du soupçon. « Jésus », dit l’Évangile, « leur répondit : Celui qui porte la main vers le plat avec moi, me trahira[2] ». Voilà déjà quelque chose de plus clair ; cependant, je ne vois encore citer aucun nom propre. Les Apôtres s’arrêtent interdits, ils cessent de manger ; mais, avec la témérité et l’effronterie qui le distinguent, Judas avance la main vers le plat avec son Maître ; il veut, par son audace, simuler une bonne conscience. Il a entendu, sans rougir, ce que le Maître a dit de lui, et il continue à manger ; sa conscience vient d’être mise à nu, et il n’en porte pas moins encore la main au plat. Bien qu’averti une fois, deux fois, il ne recule pas devant la trahison ; au contraire, son impudence trouve un aliment dans la longanimité du Sauveur, et il se prépare un trésor de colère pour le jour de la colère[3]. Alors Jésus lui annonce la punition qui l’attend, afin que la prédiction du châtiment le ramène au bien, puisque des miracles n’ont pu le détourner du mal : « Le Fils de l’homme s’en va, selon ce qui est écrit de lui ; mais malheur à celui par qui le Fils de l’homme sera trahi ! Il vaudrait mieux pour lui qu’il ne fût jamais né. » Judas, celui qui le trahissait, répondant, lui dit : « Maître, est-ce moi[4] ? » Judas, à qui dis-tu : Est-ce moi ? Dis plutôt : C’est moi. De toute éternité, il sait que c’est toi. S’il te parle ainsi maintenant, ce n’est, de sa part, ni oubli ni ignorance ; c’est bonté et pitié pour toi. Prévaricateur misérable et corrompu, si tu rentrais en toi-même, tu te rappellerais, parce que tu l’as appris, que ton Maître connaît l’avenir et que rien ne saurait lui être caché ; donc, encore une fois, s’il te parle ainsi, ce n’est point chez lui l’effet de l’ignorance ; il n’a d’autre but que de t’exciter au repentir. Mais comme la cupidité t’a fait perdre le sens, comme l’avarice a rendu ton cœur aveugle, tu fais semblant de demander si c’est toi qui aurais conçu le crime de trahison. Sa Divinité connaît toutes les pensées de ton âme ; mais malheur à toi, car tu as perdu tout sentiment d’humanité et tu ne sais plus que singer la charité !

3. « Après avoir récité un hymne, ils s’en allèrent à la montagne des Oliviers, et Jésus leur dit : Vous serez tous scandalisés, cette nuit, à cause de moi. Pierre, répondant, lui dit : Quand tous les autres seraient scandalisés à cause de vous, moi, je ne le serai jamais. Jésus lui dit : Je te le dis en vérité, cette nuit, avant que le coq chante, tu me renieras trois fois. Pierre lui dit : « Quand il me faudrait mourir avec vous, je ne vous renierai pas[5] ». Voilà donc une discussion engagée entre deux, entre le médecin et le malade ; celui-ci se croyait parfaitement sain, celui-là lui annonçait qu’il se chaufferait à l’âtre du feu du prétoire ; mais laissons cela de côté pour un instant, et jusqu’au dénouement de l’affaire. « Judas, qui le leur livrait, leur avait donné ce signe : Celui que j’embrasserai, c’est lui, arrêtez-le[6] ». Qu’avez-vous entendu, mes frères ? Qui pourrait, sans frémir, penser à pareille chose ? Quelles oreilles seraient capables de supporter un tel langage ? Quel cœur

  1. Mat. 21, 20-22
  2. Id. 23
  3. Rom. 2, 5
  4. Mat. 26, 24-25
  5. Id. 30-35
  6. Id. 48